Le P’tit Quinquin, L’Canchon Dormoire : la Marseillaise du Nord

  • Quand Alexandre Desrousseaux écrit le p’tit Quinquin, ce n’est qu’une chanson de plus dans un répertoire déjà considérable. Mais ce texte, universellement connu ,va être, pour l’auteur la circonstance d’un changement de statut. Il va devenir une légende…

L’Canchon Dormoire, comme son nom l’indique, est une berceuse. Elle a été écrite en 1853. Desrousseaux, à cette époque, a encore, alors, le projet de vivre de sa production littéraire. Selon plusieurs sources, cette chanson aurait été inspirée par une visite faite à sa mère dans le quartier de Saint-Sauveur, courée de la Jeannette à Vaques. Dans la maison voisine, une jeune fille, dentellière de profession, essaie d’endormir son nouveau-né afin de pouvoir poursuivre son ouvrage. Ces circonstances ont sans doute des résonances particulières pour Desrousseaux. Dentellière, c’était aussi la profession de sa mère, Jeanne-Catherine. Trente-trois ans auparavant, c’était lui, Alexandre, que sa mère, dentellière comme sa voisine, essayait d’endormir. Le second titre, L’Ptit Quinquin,est emprunté au parler de Saint-Sauveur. Il est très proche du Flamand « Kind Kind », qui signifie petit enfant.

Le P’tit Quinquin, illustration d’époque, Photo, Frédéric Legoy, Musée de l’Hospice Comtesse.


Lille est le lieu de jonction Ce texte est très représentatif du patois lillois : un Picard assez pur, agrémenté de noms flamands. Selon la légende, il n’aurait suffi que de quelques heures à Desrousseaux pour écrire son texte. Mais, il a pourtant eu un problème ! Aucune des mélodies de son répertoire ne fonctionne avec ses paroles. Pour la première fois, il doit se résoudre à créer sa propre musique. Quelques coups d’archets plus tard, c’était fait. L’Ptit Quinquin était prêt à affronter son public. Desrousseaux chante L’Canchon Dormoire, pour la première fois, aux environs du 12 novembre 1853, à l’auberge « A la Ville d’Ostende », 14 rue de Gand, à Lille. Desrousseaux est un showman. Il a coutume de souligner ses interprétations d’une gestuelle et d’expressions de son visage à la manière d’un comédien de théâtre

Quand il chante, il est la chanson qu’il est en train d’interpréter. Il se saisit de la poupée « catou » de la petite-fille du Cabaretier Deledicque et commence à la bercer dans ses bras. Elle est l’enfant qui a du mal à s’endormir. Il est la mère attentionnée, inquiète pour son bébé. Dans la salle c’est le silence. On entend seulement la belle voix d’Alexandre Desrousseaux qui résonne. Les sept couplets de la chanson dévidés, c’est un tonnerre d’applaudissement.

La poupée (« catou ») qu’a utilisée Desrousseaux pour la première interprétation de la chanson. elle est visible à l’Hospice Comtesse de Lille, photo, Frédéric Legoy, Musée de l’Hospice Comtesse.

Les maisons de l’époque Une légende vient de naître !
La chanson se répand comme une traînée de poudre. Bientôt, tout Lille la connaît. Un tel succès dépasse le rationnel. La rencontre d’une l’œuvre et de son public reste un mystère. Le parler régional était un appel au sentiment d’appartenance commun du public lillois. Mais cela n’explique pas tout. Le P’tit Quinquin n’est pas vraiment une berceuse aimable, c’est surtout l’évocation de la fragilité des nouveaux nés. Entre 1849 et 1866, trois épidémies de choléra font frapper Lille faisant plus de 2000 morts… beaucoup sont des tout petits. Dans bien des quartiers, l’insalubrité, le froid, l’absence d’hygiène, le manque de soins médicaux, se traduisent par une hécatombe. Quatre des six frères et sœurs de Desrousseaux sont morts en bas-âge. à Lille, entre 1800 et 1914, sur un total de 400 000, 120 000 enfants n’ont pas atteint leur première année.

Alain Cadet


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