Chausses de bottes en caoutchouc dans une pâture a vaches de la campagne tournaisienne, un gag ? non à AMOUGIES OCTOBRE 1969 !
Cet été là, je l’avais passé au camping de Quend-Plage-les-Pins, un été merveilleux,
très chaud, inespéré sur la côte picarde.
Début octobre, la rentrée des cours était déjà bien effective, rentrée heureuse aux Beaux Arts de Lille pour ma première année. Un lundi soir, Alain, mon meilleur copain de l’époque, me dit :
— Tu as vu ça va être plus que Woodstock en Belgique, les Pink FLOYD, ? Je te jure !
- POURQUOI PAS LES BEATTLE OU LES STONES et LE PAPE aussi .
— c’est historique je te dis à Amougies ! »
C’est ce que j’avais écrit à l’époque sur mon journal, commencé à la rentrée de septembre, et que j’ai retrouvé au grenier dans un vieux carton, j’en avais les larmes aux yeux .
— Te jure, faut y aller »
Et il me ramène la coupure de journal dans la quelle il avait trouvé l’info. On prévoit d’y aller en stop, ce n’était pas très loin, à quelques kilomètres de Tournai. Ce festival d’Amougies, un village sur la route du Mont de l’Enclus, un village ordinaire, d’abord prévu à Paris aux Halles de Vincennes imaginé par une équipe du journal Actuel, mais interdit par le sinistre ministre Marcellin encore terrifié par les étudiants de Mai 68. Les organisateurs s’étaient tournés vers la Belgique, plus accueillante, Courtrai ,
refusé, Tournai refusé, retranché vers le village D’Amougies qui n’avait rien de spécialement accueillant. Mais un brave paysan qui possédait un très vaste hangar en tôle ondulé niché au centre d’une vaste pâture, était d’accord pour le louer , lui aimait la jeunesse
Problème : un seul café-tabac-pompe à essence et une seule boulangerie, ce qui posa très vite des problèmes insurmontables, pour nourrir tant de jeunes qui arrivaient de toute l’Europe du nord.Mais le jackpot pour ces deux commerçants.
À la sortie de Tournai nous attendons, attendons… pour finir une deux
chevaux camionnette, c’était le boulanger du coin en tournée. « Allez les gamins, serrez-vous à l’avant, vous allez à Amougies ? …je m’en doutais, ça n’arrête pas depuis ce matin, au village on se demande çe qui nous arrive ! J’en suis à ma troisième fournée.
Au sec et au chaud … si vous avez besoin de quelque chose, je suis le seul boulanger du village, facile. »
Devant la porte du festival,la cohue, on se presse 60 francs belges de l’époque ça allait encore. Nous n‘avions pas eu le temps d’acheter nos billets que, déjà, on s’est sentis propulsés vers l’avant, tout le monde poussait, les vigiles étaient furieux. Toujours est-il que l’on s’est retrouvé projeté sur la grande pelouse face au hangar où était dressé un podium brinquebalant.
Entrée Gratuite ! C’est bon signe, dis-je à Alain. Sur scène, un groupe local de jeunes flamands, moyen puis ça a déménagé avec les anglais de Soft Machine.
Trois super groupes ! La nuit commençait à tomber et qu’est-ce qu’on va bouffer. Rien de prévu sur place, on va aller au village. Il y a bien un bistrot, d’autant qu’il ne faisait pas très chaud.
À la porte, on nous réclame un pass pour sortir et rentrer. ils nous demandent nos tickets suite a la bousculade, nous n’en avions pas. « On les a laissés aux copines » Ils nous ont cru, ou non, toujours est-il que l’on avait la précieuse carte pour entrer et sortir. Au bistrot, pas la peine d’essayer, il y avait du grabuge ! Cétait l’émeute ! Le patron avait sorti une matraque et tapait à tour de bras sur tout ce qui ressemblait à un humain, faut dire qu’il y avait une série d’anglais sacrément éméchés.
— « Laisse, on va voir l’épicerie ».
Là, on nous dit qu’il n’y a plus rien, pas même une boite de sardines. On nous envoie à coté à la boulangerie, chez notre sauveur sur la route. De loin, il nous reconnaît nous fait signe on lui achète un gros pain, il nous appelle et nous dit de passer sous le comptoir. Il nous pousse dans une pièce bien sombre mais on y devinait, collée a un feu rond, une vieille dame qui épluchait des légumes :
— « Mémé, mettez-leur une bonne tranche de pâté sur leur pain.
Quel brave homme, un saint, un humaniste et qu’il était bon son pâté, faut dire que depuis la veille, on était à jeun !
Retour au festival toujours la bousculade aux caisses, à force de pousser, une sorte de bélier humain se formait et quand ça poussait, là, c’était propulsion immédiate au centre de la pelouse et entrée gratuite, furieux, les mecs de la sécurité avaient appelé des renforts, des types à drôles de têtes l’air plus voyou qu’autre chose, qui prenaient matraque, côté festival, un groupe hollandais finissait la soirée. Très Bien, je dis à mon copain :
— « On dort où ? »
- Sais pas !
Pour finir nous avons passé la nuit au sec, mais glacés, allongés sous la scène, réveil bien pénible dans l’humidité, sous un petit crachin.
Premier truc : se faire inviter par un groupe qui en était au café, solidarité de ceux qui ont eu froid, des lillois sympa, mais eux, équipés camping. On discute de la veille, ils avaient aimé le ten Years After, moi moins, JAMAN leur leader avait fini complètement à poil sur scène ! — « Quelle pêche ça m’a
réchauffé de ma nuit glaciale »
Quelle drôle d’idée de faire un festival en automne alors que l’on a eu cette année-là un été caniculaire. Samedi matin, début poussif avec des groupuscules locaux, pâle imitation de groupes anglais. En tout cas, à part la recherche de nourriture, une boite de vache qui rit sur un pain de notre copain boulanger. L’eau était gratuite, peut-être pas très potable mais elle était bonne pour les vaches alors pourquoi pas pour nous. Attente fébrile de la fameuse soirée annoncée les PINK FLOYD, et Franck Zappa,
les pink ont emballé mon copain, moi, ils m’ont toujours laissé un peu froid mais alors Zappa ! Une tornade : 20 minutes d’impro, l’extase, un orage, le plus que l’on puisse tirer d’une guitare, nom d’une vache c’était divin !
Que de souvenirs ! C’est gravé, un son pareil, ça te réveille les neurones. Si il faut garder quelque chose d’Amougies, c’est bien la prestation de Zappa. - « Autre problème, me dit Alain, c’est bien beau mais cette nuit on s’est caillé ! Faut trouver une solution. »
On va traîner du coté des campeurs, on trouvera bien une âme charitable, tout juste — « Eh Jean Marc, qu’est- ce que tu fais là ?
C’était Anita, une copine des Beaux Arts. Mais, elle, prévoyante et organisée, avait pris une petite tente de camping et un petit butagaz, pratique pour faire chauffer une casserole de soupe bien chaude, quel délice.
« Vous pouvez dormir sous la tente avec nous, mais on est déjà trois ça va être serré, mais on ne peut pas laisser deux petits français passer une nuit dehors pour les retrouver congelés demain matin ! » Anita avait réussi à draguer une grosse hollandaise et mémère n’avait pas la moindre intention de quitter la chaleur de la tente et du sac de couchage. Les hollandais n’aiment pas les français, lui dit mon copain.
- Ça va les mecs, c’est ça ou rien, on se serre ou dehors !
- oui oui, dis-je on va s’arranger »
Mais Anita nous annonce : — « on a un copain black de Londres avec nous. Il va arriver. Il est obsédé depuis ce matin : il cherche des amphétamines, on verra bien… ». C’est sûr, cette nuit on aura chaud, on s’est endormi encore transpercé par les solos de Zappa , nom de diou que c’était beau !
Voilà le black qui, revient, il nous réveille en plus il râle parce qu’on est serré maintenant. « oh eh t’as qu’à aller ailleurs si t’es pas content. »
Il baragouine et il s’endort, sous une tente toute déformée. La grosse hollandaise me gênait ! En plus elle s’est mise à ronfler.
Dimanche, réveil plein de courbatures mais bien au chaud, Anita prépare le café, un ange cette fille elle a tout prévu. Attention ce soir Archie Shepp, un triomphe, toujours plein de petits amateurs locaux de Tournai, de Gand, même des Francais de Douai, pas trop mal mais très largement en dessous des autres.
— « Ce soir on remet ça ? demande Anita - Oh ben si t’es d’accord oui, serrés mais on est au chaud, ça fait du bien et petit déjeuner au lit ! « Dommage me dit Alain qu’elle soit lesbienne. »
« Oh mec tu t’arranges avec elle, moi ce qui compte c’est de dormir au chaud »
Sur scène Les PRETTY THINGS ! Superbe bon souvenir de la soirée. Mardi dernier jour, en apothéose pour moi CAPTAIN beetheart !
Bien beau festival ! Toutes les mauvaises nuits oubliées. Maintenant, il fallait rentrer sur Lens où j’habitais à l’époque, Amougies Tournai facile il y avait pas mal de bagnoles qui rentraient sur la France, hélas pas sur Lille, où il nous fallait reprendre le bus Citroën à la gare routière de la rue du Molinel. Tant bien que mal nous voilà à Tournai gare, je dis à Alain :
« Stop, une jupi et une frite ! J’en ai marre ! Et le train pour Lille, t’as raison à nous la grande vie. » Gare de Lille, bus Citroën, Lens, je sonne chez moi mon père prenait son petit déjeuner.
« Eh ben vous m’avez l’air frais vous deux, festivaliers d’occasion ! » - C’était bien, super, ah c’était pas du Tino Rossi Alain va dormir ici, une douche et au lit.
- Crevés les deux héros mais plus tard quand vous serez vieux allongés dans votre fauteuil relax vous pourrez dire à vos petits enfants, Amougies 69 nous y étions, et à 80 ans il n’y aura peut-être pas grand monde qui s’en souviendra.
Ah vieillesse quand la nostalgie vous amène la larme à l’œil. Transcrit presque intégralement de mon journal de l’époque. Vive Amougies et un salut à Anita, notre bienfaitrice qui nous a épargnés la congélation.
Jihem