Alain Cadet raconte….

Un nouvel hôtel de ville, pour une ville nouvelle

« Nous devons nous préoccuper de la construction d’un nouvel hôtel de ville. Il nous faut présenter d’urgence un plan de reconstruction de nos quartiers détruits. L’emplacement de la nouvelle mairie est un des éléments les plus importants de ce plan et il importe de le définir au plus tôt »,
A. Lemoine, Directeur des travaux municipaux de la Ville de Lille, le 7 février 1920

Après-guerre, vient l’heure du bilan. Plus une seule usine ne fonctionne à Lille, plus d’un tiers de l’espace urbain a été détruit par les bombardements punitifs de l’armée allemande d’octobre 1914. Une loi est promulguée en octobre 1919. Elle invite les villes sinistrées à mettre en œuvre un programme de reconstruction, d’aménagement et d’embellissement. C’est le bon moment pour imaginer un nouveau plan d’urbanisme et pour reconstruire l’hôtel de ville.

En 1919, le maire est à nouveau Gustave Delory qui avait exercé un premier mandat, avant-guerre. Il est secondé par un adjoint dynamique qui va s’illustrer après lui dans ce projet urbain, Roger Salengro. La municipalité se lance dans une réflexion sur les transformations qui vont permettre à Lille de s’agrandir, de devenir une capitale tournée vers la modernité, capable de conserver le leadership métropolitain qu’elle avait conquis de haute lutte au cours des décennies qui avaient précédé.

1 le projet d’aménagement du nouvel hôtel de ville, place de la République de l’architecte Louis-Marie Cordonnier. La restructuration urbaine est ambitieuse et l’hôtel de ville dans un style néo-flamand prolonge les autres réalisations de l’architecte lillois. col. Rousseau

Ce programme de reconstruction, destiné à effacer les blessures de la première guerre mondiale, prévoit un nouvel hôtel de ville, puisque l’ancien, établi dans le palais Rihour, avait été détruit en avril 1916, dans un mystérieux incendie. C’est peut-être aussi la bonne occasion de résoudre enfin les problèmes de logement et d’insalubrité des vieux quartiers, particulièrement sensibles à Saint-Sauveur. Le choix du nouvel emplacement de l’hôtel de ville conditionne l’ensemble du programme. Une petite dizaine de sites sont identifiés. Il n’en restera bientôt plus que deux, la place de la République et le square Ruault, dans le vieux quartier Saint-Sauveur.

Le grand hall en 1930

« Le plafond du grand hall est un rectangle de 25 m de longueur et de 24 m de largeur. Il est supporté dans chaque sens par deux poutres médianes en arc. Le plafond est vitré au moyen de pavés de verre semblables, disposés dans le plancher pour augmenter l’éclairage du premier sous-sol, le Génie civil, 17 novembre 1927.

Le 22 mars 1920, c’est ce dernier emplacement qui est choisi par arrêté municipal. En 1921 le plan d’urbanisme de rénovation de la ville et la construction de la nouvelle « Maison commune » sont confiés à Emile Dubuisson, un architecte connu pour ses partis-pris contemporains. Le terrain retenu est vaste.

3 la Grande galerie de la mairie, encore appelée la rue municipale, le Grand Hebdomadaire du Nord de la France, avril 1927

Il offre la possibilité de construire un bâtiment adapté aux besoins du moment mais aussi susceptible d’évoluer dans le futur. Dubuisson opte pour un gros œuvre solide et de grande qualité à l’intérieur duquel on pourra moduler les cloisons, afin de pouvoir adapter l’édifice à de nouveaux usages, un concept emprunté à l’architecture industrielle et commerciale. « L’hôtel de ville d’une grande cité industrielle, la Maison commune, doit être conçu de façon différente » écrit-il en 1922.

4 Le moulage des piliers de béton supportant l’hôtel de ville, col. Dubuisson, musée de la Chartreuse de Douai

« L’ensemble des bâtiments administratifs est constitué d’une ossature dans laquelle les cloisons peuvent être établies ou supprimées suivant les modifications ou extensions des services ». L’autre grande option du projet est l’utilisation du béton armé, un matériau solide et pérenne.

24/06/1928
5 l’un des piliers moulés en béton armé avec, à côté, probablement Emile Dubuisson, lui-même, la Construction Moderne, 1928

Dans les années 1920, cette technique n’est plus réservée aux bâtiments industriels et militaires comme c’était le cas avant-guerre. Mais, en général, on recouvre le béton de briques, pour cacher les secrets de la construction. Dubuisson, au contraire, va utiliser le béton comme élément décoratif, laissant apparente une grande partie de l’ossature, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur du bâtiment, faisant de cet hôtel de ville de Lille un emblème de la nouvelle architecture. « L’œuvre de l’architecte Émile Dubuisson est un véritable enseignement. La conception des façades nous montre l’alliance raisonnée du béton armé et de la brique dans un grand édifice moderne. » écrira Anthony Boisseau à la fin de la réalisation de la première tranche. Dubuisson va faire construire, sur mesure, des moules spéciaux en fonte d’aluminium qui vont permettre d’obtenir des figures originales comme ces chapiteaux et colonnes en forme de champignons, avec une surface des matériaux qui ressemble à celle de la pierre polie. Dubuisson est un précurseur de notre époque.

6 Le moulages d’un pilier col. Dubuisson, musée de la Chartreuse de Douai

Mais, au début des années 20, les plans d’Émile Dubuisson, tardent à se réaliser. En 1923, Gustave Delory qui est malade cède son fauteuil de maire à Roger Salengro. Le chantier de rénovation urbaine, avec en son centre le nouvel hôtel de ville, va pouvoir se concrétiser. Les travaux débutent en 1924 et se termineront en 1927, pour la construction du gros œuvre du Bâtiment administratif.

Alain Cadet

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