Cent-mille-pieds sous les Mers… ou l’Histoire du Tunnel sous la Manche

Construire un tunnel entre la Grande-Bretagne a été pendant des siècles un projet toujours recommencé. Mais, à la fin du XXe siècle, la dernière tentative sera la bonne.
Projet de tunnel franco-britannique de la fin du XIXe siècle

Les Le 20 janvier 1986, dans le grand hall de la mairie de Lille, lieu équidistant entre Londres et Paris, le président de la république française, François Mitterrand et le premier ministre de Grande-Bretagne, Margaret Thatcher sont venus pour signer un traité historique entre les deux nations. Ce choix n’est pas anodin. Le maire de Lille de l’époque, Pierre Mauroy, est l’ancien premier ministre. Il s’est aussi beaucoup impliqué en faveur du passage par sa ville de la nouvelle ligne TGV–Eurostar sur les axes Paris–Bruxelles–Londres. Il s’agit du 27e projet de cette nature pour un budget de 27 milliards de francs. Tous les précédents ont été des échecs, mais celui-là ira au bout !

Le projet de Matthieu-Favier (1800)Favier


Relier l’Angleterre à la France, revient à restaurer une situation très ancienne. Il y a une dizaine de siècles, l’île et le continent étaient reliés par une langue de terre. Nicolas Desmarest, géographe et géologue, en voit la preuve dans son rapport intitulé « Dissertation sur l’ancienne jonction de l’Angleterre à la France (1751) » :
« Il y a des loups en Grande Bretagne ont-ils fait le trajet à la nage ? ». Au tout début des années 1800, l’ingénieur des mines Albert Mathieu-Favier, conçoit un projet de lien fixe entre l’Angleterre et l’Europe. Il le présente au premier consul, Louis-Napoléon Bonaparte. Il s’agit d’un projet de souterrain accessible aux hommes, aux chevaux et aux diligences. L’année suivante, la Grande-Bretagne déclare la guerre à la France, enterrant pour longtemps ce beau projet !

La Machine de Beaumont (1872)

En 1833, Thomé-de-Gamond, docteur en médecine et ingénieur hydrographe relance un projet de liaison souterraine. Il effectue de nombreux sondages pour déterminer la nature des fonds sous-marins. L’une des couches, de plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur, la craie bleue du cénomanien, est une roche argileuse imperméable, apte à protéger les travaux souterrains des infiltrations de l’eau de la mer.

Projet Thomé de Gamond (vers 1850)
Signature de l’acte de naissance du projet (1986)

Mais la prudence des militaires et des financiers britanniques va réduire à néant cette nouvelle tentative. En 1872 un nouveau consortium franco-britannique, représenté côté français par « L’Association Française du Tunnel sous-marin entre la France et l’Angleterre » propose un tunnel ferroviaire foré de 48 kilomètres. Les travaux débutent à Sangatte. On commence à creuser des galeries. Pour la première fois on utilise un tunnelier, la machine de Beaumont. Elle avance à la vitesse hallucinante d’un mètre par heure ! Les milieux conservateurs britanniques vont rapidement obtenir l’arrêt du chantier. Il faudra attendre 1966 pour que Harold Wilson et Georges Pompidou, relancent un énième projet de tunnel foré. En 1973, on reprend les travaux des deux côtés du détroit sur les lieux des précédents forages. En janvier 1975 on a déjà creusé 300m de galerie du côté français et 400m du côté britannique, lorsque le premier ministre Harold Wilson annonce brutalement, « pour des raisons économiques »,  la fin des travaux. 1986 fut une grande date dans l’Histoire de l’Europe.

Le Tunnel transmanche : le chantier du siècle

Les deux équipes sous la mer
Pour la premiere fois, sous la mer, le chantier français rejoint son homologue britannique

Quand la France et l’Angleterre s’engagent dans un nouveau projet de liaison transmanche, beaucoup d’observateurs sont sceptiques. Le serpent de mer du tunnel sous la Manche, tant de fois ressuscité et presque aussitôt enterré, semble frappé par une malédiction. Quelques optimistes comptent sur le caractère strictement privé du nouveau projet : « Without a public penny » aimait dire et redire la Dame de Fer. C’était bien vu ! Une fois engagées dans la boucle, les banques et sociétés impliquées devaient aller jusqu’au bout ou déposer le bilan. En 1987, Le plan de financement a déjà explosé : 60 milliards de francs, le triple des prévisions initiales. Il faudra ajouter encore et encore au pot pour sauver le projet. Des financeurs institutionnels entrent dans la danse. On émet des actions en bourse. Le projet « Eurotunnel » est présenté comme un placement de « bon père de famille ». Il séduit les petits actionnaires français (430 000) et un peu moins les britanniques (200 000). Placer de l’argent en bourse est un métier. L’action qui, fin 1987 valait 35 francs (5,34 euros), ne représentait plus, quinze ans plus tard, que quelques centimes. Les petits actionnaires y ont laissé toutes leurs économies, mais ce projet démesurément ambitieux, « le plus grand chantier du siècle », dit-on, a pu être bouclé en moins de dix ans.

Coupe du tunnel

Ses caractéristiques sont impressionnantes : 50 kilomètres, dont 38 percés sous la mer  11 tunneliers de plus de 1 000 tonnes chacun, 12 000 travailleurs, cadres et ouvriers. Le 1er juin 1994, sept ans après le début des travaux, le tunnel sous la Manche est mis en service. Il va permettre la circulation de trains TGV ou Eurostar ainsi que des navettes assurant le passage des camions et des automobiles. Aujourd’hui, avec plus de 400 convois ferroviaires par jour, Eurotunnel est une société florissante. C’est la voie de chemin de fer la plus utilisée au monde. Après des millénaires d’insularité la Grande-Bretagne est de nouveau reliée au continent européen. C’est peut-être la raison pour laquelle, les Anglais – réputés pour être excentriques – ont choisi le Brexit !

Alain Cadet

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