L’association des « écrivains des Hauts-de-France »

Louis s’est évadé

Pourquoi ne pas lui acheter un livre ?

La question est tombée fortuitement, interrompant subitement ma réflexion. Cela fait une semaine que je bute sur le cadeau à offrir à mon filleul, hospitalisé après une très mauvaise chute en VTT, assortie de quelques fractures. Pas question de lui offrir des accessoires pour son deux-roues, envoyé illico à la casse.

Mon épouse ne change pas. Elle s’efforce toujours de solutionner les problèmes, avec plus de spontanéité que de sagacité. Offrir un livre à un gamin de 13 ans, à l’heure des tablettes de jeux, des Mangas, des IPod, iPhone, Smartphone, IPad et autres machines high-tech estampillées made in Asia ? Au mieux, il va esquisser un sourire forcé. Au pire, il va le mettre directement dans le tiroir de sa commode, avec la ferme intention de ne jamais l’ouvrir.

Ah, cette emprise de l’écran 24 pouces, quelle plaie ! Plus qu’une addiction, un poison qu’on inocule dès le plus jeune âge. Les nouvelles générations se perdent dans ce labyrinthe de violence, de stress, de repli sur soi. Les ingénieurs de la Silicon Valley, ces semeurs de chimères qui accélèrent la mort de l’écriture manuscrite, tout en plaçant leurs enfants dans des écoles privées, à l’abri du clavier satanique, ont délibérément ignoré les dégâts causés sur la mémoire et la compréhension des textes de nos chères têtes blondes. A notre époque, nous partions à l’aventure sur l’ile Speranza, afin d’aider Robinson Crusoé à confectionner son radeau de fortune. Nous chevauchions Crin Blanc l’insoumis, entre les deux bras du Rhône. Nous survolions l’Afrique, en ballon, aux côtés de Jules Verne et du docteur Fergusson. Nous longions le Mississipi dans les pas de Tom Sawyer, bravant les interdits et respirant la liberté à pleins poumons. Nous pleurions la mort de Vitalis et frémissions face aux souffrances de Rémi, le Sans-famille d’Hector Malot. Nous étions effrayés par Barbe bleue et le suspense diabolique de Charles Perrault, lequel n’en finissait pas de scruter le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie, dans les yeux terrorisés d’Anne. Nous partions à la chasse au trésor avec Robert-Louis Stevenson, au mépris de l’inquiétant équipage de pirates du capitaine Flint.

Au bout de quelques chapitres, les yeux se faisaient plus lourds et nous nous endormions en compagnie de nos héros, sans oublier de remonter la couette par crainte d’un mauvais génie glissé sous le lit.
L’imagination était au pouvoir. Nos nuits étaient peuplées de personnages fantastiques, de héros invincibles, le sommeil réparateur nous surprenait presque par inadvertance.
Désormais, le réflexe a pris le pas sur la réflexion. Il faut savoir dompter la console PlayStation 5, dernière génération, pour prétendre entrer dans l’univers des ados par la grande porte. Attention à l’étiquette « ringard » qu’on vous colle si vous ne maîtrisez pas la Xbox séries X.
En définitive, mon épouse avait raison. J’ai acheté trois livres d’aventures : « Conquérant de l’impossible »
de Mike Horn, « A la croisée des Mondes », de Philip pullman et « Sauvage » de Jamey Bradbury. Un joli cadeau qui ne m’empêche pas de douter au moment d’entrer dans la chambre de l’hôpital. Comment va-t-il le prendre ? S’intéresse-t-il seulement à la littérature ?

Louis m’attend. Il déballe fébrilement le paquet. Ses yeux s’attardent longuement sur les couvertures des livres. Il les caresse du doigt, les ouvre avec précaution et lit quelques lignes.
Il relève la tête et me fixe de son regard soudainement embué : « Merci, parrain. C’est un cadeau magnifique. Il va me permettre de prendre mon mal en patience. De m’évader de ces quatre murs. »
Je l’ai laissé, plongé dans sa lecture.

André SOLEAU


L’avenir est à nous…

Un nouveau prix littéraire à Faches-Thumesnil

Qu’y a-t-il de commun entre Fanny Chiarello, Yannick Kujawa, Djamel Cherigui, Emmanuel Defouloy et Samira El Ayachi ? Toutes et tous écrivent depuis les Hauts-de-France et la région parisienne. Surtout, ce club des cinq est celui des auteurs sélectionnés pour le nouveau prix littéraire, L’Avenir est à nous.

Porté par l’association citoyenne Faches-Thumesnil En Commun, en partenariat avec la librairie indépendante Autour des mots à Roubaix, en partenariat avec la nouvelle médiathèque Marguerite-Yourcenar et sa directrice Judith Masson, le prix récompense une œuvre en correspondance avec les luttes sociales et les droits humains. L’Avenir est à nous, d’ailleurs, fait écho au célèbre film de Jean Renoir.

Le prix d’une valeur de cinq cents euros, décerné le 9 décembre, sera suivi de rencontres du lauréat ou de la lauréate avec les lecteurs dans les collèges de Faches-Thumesnil, ainsi qu’à la médiathèque. C’est un cheval de bataille pour L’Agence régionale du livre et de la lecture et pour l’association Ecrivains des Hauts-de-France : les interventions sont prises en charge selon la charte des auteurs.
A Faches-Thumesnil, avec un jury de six lecteurs de la médiathèque, présidé par l’écrivain et journaliste Hervé Leroy, une nouvelle et belle aventure commence. Par-delà le verdict final, rien n’empêche de lire et de découvrir les cinq ouvrages finalistes : ils sont tous ancrés dans les Hauts-de-France. Mais, bien loin de tout régionalisme étriqué, ils accèdent à cette part commune qui nous est essentielle : le goût des mots, et d’une littérature partagée.

Les cinq ouvrages finalistes :

  • Le ventre des hommes. Samira
    El Ayachi. Editions de l’aube.
  • Martha Desrumaux ou l’Emancipation. Emmanuel Defouloy. Geai Bleu Editions.
  • Le Balato. Djamel Cherigui. Editions Jean-Claude Lattès.
  • Edouard Pignon L’Ouvrier mort.
    Yannick Kujawa. Editions Invenit.
  • Terrils tout partout. Fanny Chiarello. Editions Cours Toujours.

L’aventure du manuscrit qui se transforme en livre

En écoutant Dominique Brisson, éditrice (Editions Cours Toujours) parler de son métier, on imagine le joaillier tenant en main une petite pierre brute, l’observant sous toutes les facettes, la polissant et la façonnant avant de la déposer dans un bel écrin. Parce que la relation de Dominique avec un manuscrit est celle-là : la pierre brute c’est le manuscrit d’un auteur, le livre : c’est le bijou.

Nul ne s’improvise joaillier, nul ne s’improvise éditeur.  Alors qu’est-ce qu’un éditeur ?

Comment un manuscrit déclenche-t-il chez Dominique, le désir de se lancer dans cette aventure ? 

Une grande partie de mes livres sont des commandes. S’agissant des romans, quand je reçois un manuscrit, d’abord il doit être dans ma ligne éditoriale, ensuite le texte doit être contemporain, d’une belle qualité d’écriture. Mais un texte, c’est aussi un auteur et, surtout s’il s’agit d’un premier roman, il faut que je puisse savoir si l’auteur est, au-delà de la démarche éditoriale, d’accord pour appuyer le travail commercial de l’éditeur pour lancer le livre. Un éditeur n’est pas une boite aux lettres, un organisme qui fabrique un livre à partir de n’importe quel manuscrit. Moi j’ai besoin d’avoir un gros coup de cœur pour le texte avant de me lancer.

L’éditeur corrige-t-il un texte ? Quand un texte est apporté par un auteur et que l’éditeur considère qu’il a un beau potentiel, il s’agit alors de tirer un texte vers le haut avec des remarques, des suggestions, des propositions.  Je suggère, je n’impose rien. Certains auteurs refusent la moindre modification. Pourtant, l’éditeur n’est ni un imprimeur, ni un libraire, il est d’abord un bon lecteur qui aide à porter un manuscrit vers d’autres lecteurs.

L’éditeur profite-t-il de l’auteur pour s’enrichir ? Pas dans la petite édition indépendante en tous cas ! L’auteur touche en moyenne 10% de droits sur la vente d’un livre, l’éditeur : 15 à 25% mais sur cette somme, il doit payer le correcteur, le maquettiste, ses frais de fonctionnement, etc… Tout dépend aussi du type de livre. Un bel objet nécessite des maquettes, des papiers et des coûts de fabrication et d’impression plus chers. Un éditeur doit donc être prudent, c’est lui qui prend les risques financiers, il n’a souvent pas d’autre choix que de refuser de nombreux manuscrits qui lui semblent avoir un faible potentiel de lecteurs.

Relation auteur, éditeur : Souvent les auteurs disent « j’ai écrit un livre », pourtant, à ce stade, il ne s’agit pas d’un livre, mais d’un manuscrit. Ce manuscrit est transformé en livre par un éditeur et son équipe … ou par l’auteur lui-même si autoédition, dans le but d’atteindre les lecteurs.

Un auteur doit pouvoir tirer de l’argent de son travail, comme tous les maillons de la chaîne du livre. A l’origine d’un projet de livre, l’auteur ne fabrique pas tout seul le livre : il y a plusieurs métiers qui se relaient, coordonnés par l’éditeur, pour faire de son texte un livre.

Les écueils de l’auto-édition et de l’édition à compte d’auteur. Le livre fait fantasmer… Il est porteur de rêves de succès et de reconnaissance, mais ce fantasme se heurte vite à l’immense difficulté de transformer le manuscrit en livre et de le porter auprès d’un lectorat.  Comme il est difficile de trouver un éditeur, certains auteurs choisissent l’autoédition et se confrontent alors à de multiples contraintes techniques, financières et commerciales. Si l’autoédition les rebute, ils se dirigent vers des éditeurs aux conditions de publication qui n’ont rien à voir avec l’édition à compte d’éditeur, jusqu‘à leur obligatoire participation financière (y compris avec l’achat de livres). De plus ils n’auront aucun soutien commercial. Les plateformes d’autoédition ne prennent aucun risque financier, et l’auteur se retrouve souvent avec un livre impossible à vendre hors de sa sphère familiale et amicale et avec des dettes ! Il revient à l’aspirant-auteur de s’informer pour reconnaître ces sociétés d’autoédition qui cachent parfois bien leur jeu et sont en fait de l’édition à compte d’auteur ou compte participatif. Le principe est simple : un auteur ne doit pas payer pour être publié, il doit avoir un contrat et négocier avec son éditeur ses droits d’auteur (pourcentage sur les ventes et éventuel à-valoir).

Grâce à la confiance et la professionnalisation réciproques, une bonne relation auteur-éditeur se fait du travail éditorial à la phase commerciale, en passant par la mise au point du contrat, l’organisation des événements ou encore l’orchestration de la presse,.

Le bonheur de Dominique, éditrice : découvrir un beau manuscrit, démarrer le projet éditorial avec l’auteur, travailler à la fois sur le texte et sur la stratégie de lancement. Bonheur de faire connaître le livre et si le succès est à la clef, celui de le partager avec l’auteur qui reçoit alors les fruits de son talent.

Le bonheur de l’auteur : le moment où un éditeur lui fait part de son accord… puis celui de la découverte de son livre pour la première fois dans un carton, hésitant à l’ouvrir, attendant les réactions des premiers lecteurs !

« Un jour je serai écrivain » : c’est ce que nous souhaitons à tous les amoureux de l’écriture, en leur conseillant aussi d’être lucides sur l’aspect professionnel de la chaîne du livre qu’ils doivent connaître pour réussir, car avoir un statut qui protège, être édité et se faire connaître, c’est possible. Des organismes, comme le Centre National du Livre ou la Société des Gens De Lettres, sont là pour ça. Mais l’essentiel reste tout de même le talent d’écriture, un talent qui se ciselle comme la pierre du joaillier.

Elisabeth BOURGOIS


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