Le Panthéon Lillois

On l’appelait Brûle-Maison

On l’appelait Brûle Maison mais son véritable nom était François Cotigny. Ce chansonnier Lillois est né le 16 janvier 1678. Il résumait sa vie  à peu de chose, mais combien importante : rire et faire rire, en se moquant surtout des Tourquennois qu’il prenait pour de simples d’esprit et les Lillois aimaient ça. 

Il quitte ce monde, en 1740 par une toute dernière farce à la vie, suspendu dans le vide déclenchant un ultime fou rire chez ses voisins. Le farceur avait commandé un cercueil de son vivant, mais beaucoup trop large pour être descendu par l’escalier. Commerçant bonnetier installé près du théâtre, il laissait à sa femme le soin de faire tourner la boutique. Lui, arpentait les foires et les marchés vendant des articles de mode et de mercerie. Vêtu d’un somptueux costume de parade, coiffé d’un grand chapeau à plumes, une longue canne à la main,  il attirait les badauds après force boniments en  mettant le feu à  une maison de papier comme d’autres cassaient de la vaisselle. On le surnomma tout naturellement « Brûle Maison le joyeux » jusqu’au jour où un  fin paysan Tourquennois lui demanda :

« Toi qui est si malin, pourquoi souffles-tu dans tes mains lorsqu’il fait froid et sur ta soupe quand elle est trop chaude ? »

Pris au dépourvu, vexé, (les Lillois n’aiment pas passer pour des idiots), il resta de longs jours prostré, muet, déprimé, comme dans un coma profond. Mais un beau matin, comme un diable sortant de sa boite, il se mit à accuser  les Tourquennois de toutes les tares de la terre, et entama sur le champ une carrière de chansonnier, auteur de textes qui tournent en ridicule, bien sûr, les pauvres habitants de cette ville.

-Il racontait avoir vu des chasseurs Tourquennois tuer un pauvre veau, le prenant pour un ours !
-Affirmait que les pécheurs Tourquennois  semaient des croques dans les marais   les nuits de pleine lune pour récolter des carpes !
-Qu’un Tourquennois avait tué sa femme en chassant les puces de son lit avec un pistolet !
-Qu’un autre se vantait  de pouvoir  manger plus de prunes qu’un cochon et qu’il resta quatre jours sur le pot !
-Qu’ils plaçaient leur courrier pour Lille dans une brouette, pensant qu’il arriverait plus vite etc, etc.

Ces plaisanteries agaçaient  les Tourquennois, mais ils se consolaient, en sachant, qu’à côté d’eux, un Lillois ne valait pas grand-chose au travail. Ses chansons étaient connues de tous. Il devenait de plus en plus célèbre ; on éditait ses textes qui étaient repris en chœur dans tous les cabarets de la région. Un de ses plus grands succès mettait en scène un négociant flamand envoyé à Tourcoing pour apprendre le bon français. Pensez donc, eux qui ne parlaient qu’une sorte de charabia incompréhensible ! La renommée de notre Brûle Maison ne tarda pas à faire des jaloux auprès des rimailleurs de chez nous. Les mauvaises langues affirmaient que le véritable auteur de ces textes était un  coquin chanoine de la Collégiale St Pierre, voir un éminent bourgeois Lillois. Et pourtant ! Desrousseaux, grand admirateur de notre François, était furieux d’entendre ça.

Tout comme Géry Legrand, maire de la ville qui s’empressa de donner le nom de Brûle Maison à l’une des rues du nouveau Lille. Sa femme avait tellement d’admiration pour lui qu’elle subissait ses plaisanteries sans trop se plaindre, car il ne s’arrêtait jamais. Un soir, sous prétexte que l’épicier du coin n’avait plus de moutarde, il partit en acheter à Dijon. Sa compagne l’attendit pendant plusieurs semaines ! Une fois,  la soupe était trop chaude,

– Ah, ben dis donc, j’ai juste le temps d’aller à Rome en attendant qu’elle refroidisse !
Elle crut qu’il allait boire un verre au cabaret « le Rome » tout près de chez lui.
Son absence dura un an, il avait  voyagé à pied, vendant ses produits et ses chansons pour vivre.
A son retour,  il rencontre un de ses amis :
-Où étais- tu depuis si longtemps ?
-à Rome
-à Rome ! Ah !et de quel côté est la statue de St Pierre dans la basilique ?

Incapable de lui répondre,  il repartit pour Rome sans même avoir salué son épouse. Apprenant sa mort en 1740, les Tourquennois, dit-on, allumèrent des feux de joie et dansèrent toute la nuit. Tel a vécu ce gai luron, Lillois, et fier de l’être.

 

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