Petite Histoire lilloise de l’Internationale

Lille, berceau de l’hymne du Nord, le P’tit Quinquin, a aussi donné le jour à un chant planétaire, l’Internationale.

L’Histoire de l’Internationale, passe par Lille et par Paris. Nous sommes en 1871. L’insurrection de la Commune est réprimée dans le sang par le gouvernement Thiers, réfugié à Versailles. Plusieurs dizaines de milliers de Parisiens sont déportés ou fusillés pour l’exemple, souvent à l’aide des lourdes mitrailleuses de l’Armée française. L’un de ces Communards qui a échappé au massacre se cache dans Paris. Il se nomme Eugène Pottier. Il était l’un des quatre-vingt-douze membres élus de la Commune de Paris. C’est un Poète. Avant de s’enfuir en Angleterre, puis en Amérique, il écrit un poème militant : l’Internationale. Les textes de Pottier continuent à se distribuer sous le manteau dans les réunions politiques ou syndicales plus ou moins clandestines.

Dix-sept ans plus tard, alors que Pottier vient de décéder, Gustave Delory, Secrétaire de la section lilloise du Parti Ouvrier de France (ancêtre des partis de Gauche) et dirigeant d’une chorale ouvrière, La Lyre des Travailleurs, découvre le texte lors d’un congrès.

Il le rapporte à Lille. Il voudrait en faire un hymne pour sa section locale. C’est le chef de La Lyre, Pierre Degeyter, ouvrier métallurgiste à Fives qui s’attelle à la composition de la musique de l’Internationale. L’hymne est exécuté pour la première fois, le 23 juillet 1888, dans l’estaminet À la Liberté, 21 rue de la Vignette, dans le quartier Saint-Sauveur. L’Internationale rencontre un certain succès auprès des chorales ouvrières du coin, à tel point que les éditions lilloises des frères Boldoduc décident d’en imprimer 6000 exemplaires. Le début est laborieux, mais bientôt, ce chant devient viral… à Lille et ailleurs !

Les partitions de l’Internationale se vendent désormais comme des petits pains. En 1889, elle devient l’hymne officiel de la Deuxième Internationale. Il n’était pas bon, à Lille, d’afficher des idées révolutionnaires. C’est la raison pour laquelle Pierre Degeyter n’avait fait écrire sur la partition Boldoduc que son simple patronyme, « Degeyter ».


Mais un jour, lors d’un banquet de Sainte-Cécile très arrosé du Parti Ouvrier de France, Gustave Delory déclare :

“ Je ne remercierai jamais assez notre camarade Pierre Degeyter d’avoir composé cet hymne magnifique qu’est l’Internationale. »

Bien entendu il y avait des mouchards du Patronat dans la salle et Pierre Degeyter est licencié sur le champ. L’ouvrier-musicien est inscrit à l’encre rouge dans la liste des indésirables du patronat lillois. Degeyter va trouver un petit boulot très mal rémunéré chez un artisan menuisier du coin, où il fabrique
« des escaliers », voir « des cercueils ».
Il n’a d’autre ressource que de s’expatrier. Il trouve un travail obscur à la mairie de Saint-Denis, dans la banlieue parisienne. Entre-temps, L’Internationale est devenue un tube planétaire… très rémunérateur pour celui qui l’imprime et en possède les droits. A Lille, Gustave Delory dirige une petite imprimerie qui fonctionne en symbiose avec le POF. Il imprime des partitions de L’Internationale à tour de bras. Il fait signer à Adolphe, le petit frère de Pierre, très influençable après quelques verres, une lettre où celui-ci prétend être le véritable auteur de l’Internationale :

“ J’ai composé la musique de l’Internationale au mois d’avril 1888, deux mois après le décès de ma mère. »

Désormais, à Lille, Adolphe est réputé être le véritable auteur du morceau. Commence un procès interminable entre les deux frères. Adolphe, dans Lille occupée, est persécuté par les Allemands. Il va se suicider en 1916. Quelques mois auparavant, le 27 avril 1915, malgré l’interdiction de faire passer en zone libre tout document, il envoie à son frère une lettre : « Cher frère, Je n’ai jamais fait de musique, encore moins l’Internationale. Je n’ai pas cru tant mal faire en signant ce papier » La Guerre finie, Gustave Delory, redevenu maire de Lille, fait ériger une belle dalle de marbre sur la tombe d’Adolphe, enterré à la va-vite, quatre ans auparavant. C’est l’occasion d’une belle cérémonie prolétarienne, 1er mai 1920, en l’honneur du présumé musicien. « On sait qu’Adolphe Degeyter est l’auteur de la musique du chant révolutionnaire »,
écrivait le lendemain, Le Grand Hebdomadaire illustré de la Région du Nord. Il faudra attendre le 23 novembre 1922, pour que la Justice reconnaisse que « Pierre Degeyter est l’auteur de la musique de l’Internationale », rétablissant ainsi l’ancien Chef de chœur de La Lyre des Travailleurs dans ses droits.

Alain Cadet

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