LESLY JA & O.J.A, rappeurs nordistes

A l’occasion de la sortie de l’album « Les étoiles de mer observent les étoiles filantes » le 30 juin, Scolti est allé à la rencontre de LESLY JA & O.J.A.

Rappeurs nordistes, Lesly Ja, depuis…20 piges ?

Lesly Ja : Plus ! 32 ans cette année

32 ans ! Alors Lesly Ja donc, Artiste ultra prolifique, qui a collaboré avec pas mal de gens, qui a contribué à mettre une épingle sur le nord sur la carte du rap français…mais, présentez vous…

L.J : Donc Lesly Ja, 32 ans de rap cette année, j’ai commencé avec mon groupe Produxion Incorruptibl, à Grande-Synthe, et pas mieux à dire pour l’instant…

Si, y a mieux à dire ! Parce que est-ce que tu te rends compte de ce que représente le fait de dire « 32 ans de rap », à l’ère du rap éphémère, du rap buzz, du rap qui passe et qu’on oublie. Pouvoir dire aujourd’hui « 32 ans de rap », ça représente quoi ?

Ça représente ma vie, comme un gars qui joue au foot toute sa vie. Il joue en réserve, il va faire son match le dimanche après-midi avec ses potes, il a commencé tout petit et il continue même à la retraite. Je le prends comme un loisir passionnel, qui perdure, et qui fait partie de moi

T’as toujours été entouré, aujourd’hui on reçoit aussi OJA..

O.J.A : Ouais, moi c’est O.J.A, ça fait entre 20 et 25 ans que je rappe. Je viens d’un tout petit village, du côté de Cassel, donc ça me paraissait difficile de faire quelque chose dans la musique, et j’ai eu la chance de rencontrer Lesly Ja en 2002, qui depuis m’a pris sous son aile et m’a permis de passer certaines étapes plus rapidement, ce qui m’a permis de faire des albums, d’accéder à des studios, des scènes, des clips. Tout ça paraissait complètement impossible, d’où je viens.

L.J : Quand on nous a présenté, ça a semblé naturel de travailler ensemble, je l’ai aidé à ses débuts, sur ses enregistrements, j’ai réalisé ses projets, et y a 3 ans on s’est dit qu’on était enfin prêts à faire un truc en commun

Le projet, là, c’est un album ?

L.J : Ouais, c’est Lesly Ja & O.J.A, deux identités qui travaillent en binôme, sans nom de collectif. On verra s’il y a une continuité à ça ou pas, on ne sait pas

Et l’idée, c’est de pouvoir conserver pleinement son identité au sein d’un projet commun, ou alors il y a aussi une entité qui se crée, qui fait qu’on se rapproche dans le discours, ou sur les flows ?

L.J : C’est DBZ, c’est la fusion de 2 artistes qui se ressemblent

Ouais, mais dans DBZ, après la fusion, à la fin il n’en reste qu’un, qui est la combinaison des 2

C’est exactement ça. Au début on ne savait pas où on allait partir avec ce projet, et on est finalement étonné du résultat, parce qu’on a amené quelque chose qu’on n’avait pas, chacun, de notre côté, avant ça. On a réussi à créer un truc « unique », jusqu’à ne presque faire qu’un seul parfois. On définit notre musique comme de la « joyeuse tristesse », c’est paradoxal mais c’est ça.

Une mélancolie souriante

L.J : C’est ça. Au départ, on l’avait individuellement, et on a réussi à en faire une mélancolie commune.

Dans ton parcours, Lesly Ja, il y a eu des post-it, comme Universal Publishing, le Printemps de Bourges, ou encore Skyrock…Tu racontes ?

L.J : Je viens de Cergy à la base, où j’ai commencé, avec le collectif LSO, qui deviendra plus tard Diable Rouge, qui signera sur TimeBomb. Et moi je suis au tout début de ça. Mais quand on crée LSO, je m’en vais, mes parents reviennent vivre sur leur terre natale, à Dunkerque. Donc je quitte Cergy. Avec un peu de frustration, et je me retrouve seul.

Tout en gardant des connexions

L.J : Ah ouais, je garde mes connexions ! Et à l’époque je passais mon temps à faire des aller-retours. Je voyais mes gars monter quoi ! Ils arrivaient sur TimeBomb, ils pétaient toute la France, donc on se disait que c’était possible ! On écrivait dans une M.J.C etc, et je vois que mes potes ont réussi à créer quelque chose. Donc moi je suis au début avec eux, mais j’ai rien fait là-bas ! J’existe pas à travers LSO. Quand j’arrive à Grande-Synthe, frustré, dans une ville que mes parents ont voulue similaire à l’Ile-De-France, un endroit un peu street, qui ne soit pas juste une ville portuaire qui ne leur aurait pas correspondu, j’ai tout de suite eu l’envie de créer quelque chose. J’ai vite rencontré Tayeb, Eric, Youssef, Menouar, et on a créé Produxion Incorruptibl. On était 17 dans ma chambre de 10m², mon père pétait des câbles, vieux poste K7, on rappait sur des faces B. Donc 100 % autodidactes

Mais donc ce parcours se fait avec cette projection du « possible », du fait d’avoir vu tes potes y arriver

L.J : C’est ça. Ça a toujours été déter’ de monter. Donc là on crée ce groupe, puis on a une salle de répétition, puis on commence à se dire qu’on peut faire des concerts, et très vite vient l’idée du Printemps de Bourges. Donc on le fait, et la 1ère année on arrive dernier je crois. Alors pendant un an on bosse comme des acharnés, et l’année d’après on est 1er, sur 128 groupes ! Et ça ça déclenche plein de trucs. On fait partie des premiers à avoir inventé le rap-raï. Et donc on passe rapidement sur Skyrock Nord, qui nous diffuse tous les jours. Puis, Fabrice, l’animateur, nous branche sur Skyrock national, et on y est diffusé, même si c’est très peu. Mais la porte est ouverte. On se retrouve vite à faire des concerts à 80 000 personnes à la braderie de Lille, les concerts Skyrock à l’époque. Et je bosse avec Djamel, qui a fait Nuff Respect avec Bustaflex, ce qui m’amène à Universal, qui me voit comme le « Eminem français », même si c’était juste parce que j’étais blanc et que ça arrivait pile à ce moment. Mais ils ont essayé de faire une caricature de moi, un Kamini avant l’heure, même si j’aime beaucoup Kamini ! Mais avant lui, il leur fallait une étiquette : j’étais le blanc, du Nord, et fallait que je fasse rire. Cette expérience avec Universal n’était ni bien ni pas bien, c’était formateur. Ça m’a permis de créer du réseau, des amitiés, que ce soit avec Jmi Sissoko, ou Flex, ou plein de gens du milieu, et y a surtout eu la rencontre avec Fred Musa aussi, mon poto.

Et toi, O.J.A, tu rencontres Lesly Ja avec aussi ce parcours là…

O.J.A : Ouais, je le suivais, et son groupe aussi, avant de le connaître. C’était des grands noms dans le Nord-Pas-De-Calais. Après j’ai eu la chance de pouvoir lui faire écouter mon premier projet, que j’avais fait seul. Il était là, en face de moi, en train de l’écouter, et j’avais une pression incroyable, parce que je savais qui c’était, et je savais que je n’étais pas encore prêt, mais il m’a pris sous son aile.

L.J : et pourtant y avait rien ! On était des figures locales, régionales, mais y avait moins de groupes aussi, dont le tien Scolti (ex Kheper), Mental Kombat. J’ai l’impression qu’on était même que 2 groupes au tout début. Y avait pas autant d’énergie. On pouvait aller faire des concerts à l’Aéronef comme on voulait, aujourd’hui je pense pas que ce soit aussi facile. On avait une petite réputation qui s’était faite, de K7 en K7, dans les voitures

Donc O.J.A t’arrives avec humilité…

O.J.A : Ouais, complètement. Impressionné. J’avais chopé un studio avec mon frère, mais on y connaissait strictement rien.

L.J : Mais tu sentais déjà qu’il y avait quelque chose en écoutant. La musique ne triche pas souvent. Quand tu mets « play », tu vois le travail, l’envie.

Qu’est-ce qui dans vos parcours a constitué des freins, ou des accélérations ?

L.J : Des freins, y en a tous les jours. Déjà, les séparations. Je me suis séparé de mon groupe, même si on s’est retrouvé, on se retrouve tout le temps, mais il peut toujours y avoir des points de fissures, de cassures, dans le sens où moi j’ai toujours envie de bosser, de créer, c’est pour ça que je ne fais pas de scène. Je crée sans cesse. Et à un moment, je sais que j’épuise les gens avec qui je travaille, parce qu’ils n’ont pas le même rythme, et se disent qu’on peut prendre le temps. Mais pour moi, la vie passe vite, et j’ai envie de laisser une belle trace.

T’es pressé, ou angoissé ?

L.J : Les deux ! Mais un peu plus angoissé. Avant j’étais pressé, mais plus maintenant.

Et t’as pas l’impression que parfois, cette obsession autour de ces angoisses du temps qui passe,  pourrait biaiser la qualité du travail artistique, à cause du côté pressé, du « il faut que je livre »

L.J : De toute façon, on est jamais content de tout ce qu’on a fait dans une carrière. Y a des choses que j’ai réussies, et d’autres pas, à cause de la précipitation. Aujourd’hui, l’angoisse me permet de freiner ma précipitation. Je ne suis plus pressé, ça sortira quand ça sortira, et j’essaye d’utiliser l’angoisse à bon escient, à travers la création. C’est un punching-ball, un sac de frappe, mon angoisse s’évacue sur la feuille, au micro, je dois mouiller le maillot, et donner de l’âme. Mais là, ça fait des mois qu’on est sur la fin de cet album « Les étoiles de mer observent les étoiles filantes » , qui sort le 30 juin 2023, et je voulais que la moindre virgule soit réfléchie, donc la précipitation je l’oublie.

Alors, tout à l’heure je disais que t’as largement contribué à la visibilité du Nord dans le rapgame, mais ça fait également face à un paradoxe, qui est l’amour inconditionnel que tu sembles avoir pour les states. C’est quoi cette histoire d’amour ?

L.J : Je suis tombé dans le rap en 1986. C’est comme dans la scène de La Haine, bien avant le film. DJ Loose passe du son pour tout le quartier, au 1er étage, et nous on est en bas, en train d’écouter. C’était le grand frère, il nous a fait grandir avec du son américain. Donc je découvre The Skinny Boys, puis N.W.A., puis Public Enemy etc…et donc toutes la culture américaine, avec ses clips, son visuel. Ça nous fait rêver. On va acheter de la sape à Paris, lui est allé chercher ses fringues à New-York, il nous parle de cette ville et on a les yeux qui brillent. J’y débarque en 97, et je tombe dedans direct, je vois toute la culture qui m’a fait rêver, que j’ai aimée, et elle est là, devant moi, et je me prends une grosse claque. Y a tous ces magasins urbains, sur Fulton Street, à Harlem ça pue tous les clips qu’on a vus

Et t’as eu envie de t’inscrire dans cette histoire là, notamment via des clips que t’as tourné là-bas ? Les mecs ont réussi à nous faire rêver par leur imagerie, pourquoi ne pas avoir cherché à le faire ici ? C’était d’emblée impossible, à cause des décors qui ne claquent pas, ou de l’histoire ?

L.J : Avant de faire ces clips là-bas, que j’ai fait pour la plupart pour l’album « Black Friday », j’ai fait ces clips, dans mon quartier, pour l’album « Black Album » entre autres. Mais comme tu le dis, ça claque moins. Pour moi la base est là-bas. Je sais qu’il y a plein de gens qui sont anti-states, mais je ne vais pas chercher de la politique là-bas, j’y cherche de l’imagerie, du rêve, et c’est pour ça que dans mes clips il y a des références à tel clip, à tel personnage, à tel endroit, où telle musique a été créée. C’est plus de la référence, de la symbolique, que je vais cherche là-bas. Et puis voilà, tu filmes à New-York, voilà le décor ! Les lumières ! Etc. Après, mon clip « Instagram » est tourné à New-York et à Oostende, et les gens ne pensent pas que ce soit possible.

Et les liens là-bas ? T’as pu en créer ?

L.J : Ouais, de fou ! J’ai eu la chance de rencontrer Chris Gehringer par exemple, qui est l’un des pontes du mastering dans le monde, il est passé par Wu-Tang, Eminem, Dre, tout le monde en fait en gros ! La rencontre s’est faite par hasard, au détour de la vie, dans un ascenseur. Je savais pas à quoi il ressemblait. On a discuté avec un mec qui est monté dans l’ascenseur, et qui revenait de Cagnes-sur-Mer, et la pote qui était avec moi venait de là-bas. On est allé boire un café. Et quand il m’a demandé ce que je faisais à New-York, je lui ai dit que je venais rencontrer des gens comme Chris Gehringer ou Tom Coyne, dont je ne connaissais les noms que parce qu’ils apparaissaient sur les pochettes d’albums, y avait pas internet. J’explique au gars que je rappe, que je sais que c’est inaccessible etc, mais je suis venu rêver. Et le mec me dit « C’est moi Chris Gehringer. Et je ferai ton album ». Et depuis il ne me lâche pas.

On est en 2005. Loin des réseaux sociaux, les connexions se font dans un ascenseur, ou autour d’un café. Ce n’est quasiment plus le cas, avec l’évolution des réseaux sociaux. Comment vous voyez ça ? Est-ce que vous en profitez ?

O.J.A : On a encore un fonctionnement à l’ancienne, à part quand l’artiste avec lequel on veut travailler est à l’étranger et qu’on est obligé de passer par ce biais là. Pour ceux qui sont plus proches, on préfère le lien réel. On veut le feeling, et pas juste faire de la musique pour en faire. On provoque les rencontres

L.J : tu sais, à l’époque je rêvais de Skyrock, donc je prenais le train, et j’attendais des heures devant. Je l’ai vraiment fait. Y avait pas les réseaux, y avait pas les mails. Fallait y être. Et j’ai passé des heures, puis je repartais avec mon sac à dos et il s’était rien passé, j’avais vu personne. Mais j’y retournais.

Mais les réseaux sont un outil de promo en plus d’être un outil de com’

L.J : Ouais, bien sûr. C’est désormais impossible de l’éviter. Après, y a aussi le trop plein. Beaucoup beaucoup de choses sont proposées, depuis les réseaux sociaux.

Est-ce qu’une promo à l’ancienne est encore possible ? Flyers, Affiches. Parce que ça marchait à l’époque, et les humains étaient des humains, qui n’ont pas fondamentalement changé depuis.

L.J : Ouais ! Tu te rappelles, à Lille c’était placardé, quand on voyait un fly on voulait savoir qui c’était, on prenait le temps. Des choses ont changé. Aujourd’hui y a plus vraiment de pochettes, t’as plus les noms, parfois tu sais même pas qui a fait la prod. C’est hallucinant. Mais la vie est un cycle, et je pense que les choses vont revenir. Ce qui a fait la fin des stickers, c’est aussi le trop plein, y en avait partout, t’arrivais plus à lire celui du dessous. Et c’est ça les réseaux. Du coup, dans ce trop plein, t’en écoutes un, de temps en temps, et souvent c’est le mauvais, mais son post est sponso et du coup tu écoutes parce qu’il est suggéré. Il faut casser ce truc là, et comme tu disais le sticker qui sera collé sur les lampadaires tout propre étonnera, parce qu’il sera le premier. Après le cycle reviendra. Mais t’as pas tort, une promo à l’ancienne peut fonctionner.

Là vous êtes dans la promo de « Les étoiles de mer observent les étoiles filantes », est-ce que vous avez établi un « plan », une stratégie, dans ce calcul obligatoire quand on a un projet ?

L.J : Pour la 1ère fois, on s’est posé la question de « est-ce qu’il nous faut un attaché de presse ? », quelqu’un de spécialisé, dans les réseaux par exemple. La question est en suspens. Moi j’aime bien quand l’album parle de lui-même, et si je dois faire des médias, c’est avec des gens comme toi, des gens que j’apprécie, avec qui il y aura une vraie discussion, un vrai fond. J’aimerais retourner chez mon fréro Fred Musa à Skyrock. J’aime bien ce que fait Driver dans ses podcasts aussi. Ce sont des endroits où j’aimerais être, là où sont mes copains en fait.

Ça fait sortir de la logique algorithmique, qui fait que soit ton démarrage pète, et donc a de l’impact, soit ça ne pète pas d’emblée, et ça s’étiole et on t’oublie, contrairement au sticker, qui reste.

L.J : Y a pas de vérité…ça se passera comme ça se passera. Grâce à mes albums, j’ai la chance d’avoir une petite fanbase, qui me suit sur la longueur, et qui peut-être s’est étouffée parce que j’ai rien sorti depuis 2019. Mais en 2014 j’arrive 16ème sur Itunes France, en Hip-Hop, en 2016 j’arrive 10ème, et en 2019 j’arrive 3ème, juste derrière Soprano et Alkpote. Je me dis « putain, j’avance comme la lave, mais chaque fois c’est mieux ». Y a un travail de fond. Et donc y a un truc qui se fait naturellement, donc la promo…aller chez les potes ça me va, faire une sortie avec une pré-commande aussi. Mais si on doit faire des médias, ça sera des médias plus adultes, pas des Booska P ou autre, on respecte mais ce n’est plus de notre âge. Le jeune qui va me découvrir sur ces supports va passer son tour, il n’écoutera pas, il cherchera un truc qui lui correspond. À travers cet album, on aimerait passer sur d’autres médias, FIP, France Inter, France Bleu

Et cet album alors ?

L.J : C’est très chaud musicalement. On aime quand c’est costaud, rond, avec de la basse, de l’émotion. Et derrière c’est très froid au niveau du texte. C’est de la tristesse colorée. Y a un côté « chaud », du track 1 au 10, et tragique dans le texte aussi. Puis ça s’inverse, c’est assez froid dans la prod, ça kick, et ça finit par un gros morceau sociétal. En gros, 10 morceau L.A, puis 10 morceaux New-York en fait, si on prenait les anciens codes

Un long voyage, en un album. Merci beaucoup les gars !

Merci à toi Scolti.

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