À la mémoire du Petit Maroc



Il faut y habiter, ou s’être totalement perdu, pour se retrouver à errer parmi les quelques ruelles qui percent l’alignement de maisonnettes aux toits ondulés. C’est compter sur l’erreur, la déviation pour cause de travaux, ou la faute d’inattention. Mais comment se perdre à l’ère du GPS ? Quelles sont les chances d’aller longer la rue du Professeur Langevin, et ainsi pouvoir se dire que, peut-être, plus personne ne vit ici, alors que le guidage automatique empêche tous les écarts ? Il ne semble y avoir que le bandeau sur les yeux pour guider jusqu’au désert, et c’est ce linge que personne n’ôte une fois le pied posé sur ce territoire, comme autant de Tirésias qui repartent muets.

Le territoire est le Petit Maroc. C’est simple, nous sommes constitués de sorte qu’un nom évocateur stimule l’imaginaire et que l’esprit s’envole. Mais quelle prouesse permettrait à l’esprit d’envisager le dessin de l’enclave qu’est ce quartier oublié ?

Je m’y suis perdu, moi. J’ai dévié ma route au hasard d’une pente qu’il fallait deviner avant de rebrousser chemin face à une autoroute dont les sons nous rappellent qu’ailleurs le monde va vite. Et j’ai enchainé les pas, sans jamais être dérangé par des cris d’enfants ou des querelles de couples. Sans y voir le piéton qui rentre de ses courses en portant ses cabas, sans contourner le camion qui viendrait ravitailler le commerce du coin. Les portes sont closes, les enseignes démontées. Le film est une photo. Le mouvement est le coup de pédale des quelques cyclistes qui se rendent au Bitwin Village attenant. Le mouvement est le défilé des auto-écoles qui ont trouvé dans ce désert un terrain de jeu idéal, sans jamais se soucier du dérangement causé.

Le mouvement est celui du chat qui traine la patte, trop nourri aux croquettes pour déloger les rats qui vivent une vie paisible. Le mouvement est celui des trains que l’on entend parfois venir se reposer. Le mouvement est la volute de fumée qui s’échappe des cheminées de l’usine dont les habitants ne connaissent ni le nom ni l’activité et qui borde le quartier.
Petit Maroc, du nom de la main d’oeuvre marocaine venue poser les rails qui longent les jardinets. Du nom des tirailleurs marocains démobilisés pendant le première Guerre Mondiale. Du nom de l’ancien bidonville peuplé de marocains qu’on aurait déplacé ici après avoir construit des maisons en briques. Du nom qu’aurait donné ce soldat sans nom, qui de retour de son service aurait, face aux maisons en bois, eu la sensation d’être au Maroc. Du nom de la population qui aurait spontanément décidé de se réunir ici. Du nom de ce vendeur de patates qui aurait loué des baraques en bois sur ses terres, sans lien évident avec le Maroc. Rumeurs et mythes empreints de miettes de vérités. Que chacun invente sa légende et son histoire, pour un quartier qui a perdu la sienne. L’école a disparu. Les emplois de l’ancienne Seita aussi, que Bitwin n’a pas su créer. Le vide semble être le destin de l’impasse qui compte dans ses rangées de maisons des murs abandonnés. Des rumeurs courent sur des projets dont personne ne voit jamais la couleur. Le mur antibruit censé lutter contre les trains n’a pas de fondations. Les sous-sols inondés disent par leurs messages envoyés aux murs humides qu’il faut agir.

Scolti

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