Prix Alexandre Desrousseaux

Le prix Alexandre Desrousseaux 2022, a été remis à Olivier Magnies pour L’Excuse en présence de Franck Hanoh, Conseiller métropolitain, Mairie de Lille-Centre.

Le deuxième prix a été attribué à Lucienne Cluytens, pour Ennemies intimes

Le troisième prix, à Claudia Lucera-Gomez pour Une Sirène hors de l’Eau.


L’Excuse

            Pour lutter contre l’absentéisme qui régnait dans notre école de commerce, le directeur des études avait instauré une note d’assiduité. Ce stratagème vicieux lui assurait la présence des élèves aux cours les plus rébarbatifs car toute absence non signalée la veille entraînait un funeste décompte sur la note de cette matière fictive.

            Cette mesure inique me valut une déconvenue d’autant plus fâcheuse que je m’étais déjà fait remarquer en début d’année. Il faut dire que j’avais fait fort. Au premier cours de gestion analytique, l’enseignant, triste comme un comptable, jaune et inquiet comme un directeur des approvisionnements, nous donna les références de deux ou trois ouvrages dont il nous demanda d’acheter quelques exemplaires pour les lire et nous les échanger. L’allure du personnage, haut en gris, nous confirma que nous n’allions pas rire tous les jours. Quinze jours plus tard, il voulut savoir ce que nous pensions des ouvrages recommandés. Un élève prit la parole et dit tout le bien qu’il pensait du livre qu’il avait lu. Quand vint mon tour, je déclarai, tout de go, que tout ce que contenait ce livre de contrôle de gestion tombait sous le sens et qu’acheter un tel ouvrage, c’était jeter de l’argent par les fenêtres. Le professeur, sérieux et détaché comme un juge, me demanda de préciser ma pensée. J’ajoutai : « L’auteur veut nous faire partager son émerveillement d’avoir découvert la règle de trois. » Les personnes à côté de moi riaient. Je croyais à l’humour de mes propos, mes camarades me mettaient en verve. J’ajoutai : « L’auteur se croit obligé d’employer des mots savants comme clé de répartition primaire ou secondaire pour nommer ce qu’en mathématiques, on appelle coefficient de pondération. » Les rires fusaient. Je ne comprenais pas pourquoi mon voisin frappait avec son doigt sur le nom de l’auteur inscrit sur le livre. Fier de mon effet, je poursuivais : « J’ai eu le sentiment, en lisant ce livre, que l’auteur enfonçait des portes ouvertes et ne respectait pas ses lecteurs. » Je ne compris pas pourquoi la quinzaine de personnes qui m’entouraient ne riaient plus. Je le compris lorsque je vis sur l’emploi du temps que me tendait mon voisin que le cours était dispensé par l’auteur de l’ouvrage ! Le moment cauchemardesque qui suivit, dura une éternité ; il hanta mes nuits pendant des années.

Suite à cet exploit mémorable, je savais que je devais me tenir à carreau. J’avais intérêt à apprendre mes cours car les profs, par esprit de corps, ne me pardonneraient aucune approximation. Lorsque j’ouvrais la bouche, certains d’entre eux m’adressaient des regards noirs.

Nombre d’élèves de l’école, et j’en faisais partie, pensaient qu’après les cours, il fallait cultiver leur relationnel et le sens de la fête en participant aux soirées les plus éclectiques. Il s’avéra qu’au cours du premier trimestre, une de ces soirées se termina particulièrement bien pour moi ; je ne m’endormis qu’au petit matin et entre les draps d’Astrid. Astrid dansait merveilleusement, j’adorais plonger mon museau dans les boucles de ses cheveux. Et puis, Astrid avait cette façon si particulière de prononcer mon prénom ! Malheureusement pour moi, le sourire d’Astrid n’illumina pas mon oreiller à mon réveil. Je découvris sur sa table de nuit, un petit mot charmant au bas duquel elle me souhaitait une bonne journée. Elle n’avait pas voulu me réveiller et était partie en cours.

            Le réveil indiquait neuf heures trente, j’avais déjà loupé les deux premières heures de contrôle de gestion. Je pouvais encore, si je me dépêchais, arriver à l’heure au cours de droit du travail. Je m’habillais prestement et éteignais la lumière. Tant pis pour le désordre, Astrid comprendrait. Un coup d’œil à ma montre, c’était jouable, je pris mon élan pour dévaler l’escalier quatre à quatre, mais lorsque ma main actionna la poignée de la porte, celle-ci tourna dans le vide.

            Astrid l’avait fermée de l’extérieur. L’amer constat fut vite fait. Une porte, une fenêtre, pas de balcon… A moins de jouer les cascadeurs, je n’avais d’autre solution que d’attendre le retour d’Astrid. ( A cette époque, les téléphones portables n’existaient pas encore.) J’aurais pu crier après les voisins, mais aucun d’eux n’avait la clé. Je pouvais défoncer la porte mais elle disposait d’une serrure triple-point. Je retournai le studio à la recherche d’un double des clés mais quelques minutes plus tard, je dus me résoudre à enlever mon manteau et à petit-déjeuner. Ce que je fis ce jour-là n’apporte rien à l’histoire, je profitais du calme qui régnait dans l’immeuble pour rattraper quelques heures de sommeil. Je redoutais que l’emploi du temps d’Astrid ne l’emmène au-delà de vingt heures ou qu’elle aille se trémousser à une autre soirée sans repasser chez elle.

            Je rongeai mon frein, je fis la sieste, le ménage… Je cherchais en vain quelle excuse je présenterais au directeur des études pour obtenir sa précieuse indulgence. Astrid revint vers 18 h 30 et s’aperçut de sa bévue en même temps que ma présence dans sa chambre. Je ne vous dirai de quels arguments elle usa pour se faire pardonner mais sachez qu’elle obtint mon absolution.

            Le lendemain, sur la route de l’école, je me demandais encore ce que j’allais raconter au directeur des études. Hélas, je n’ai jamais eu beaucoup d’imagination et de ce fait, je ne sais pas mentir. Je décidai de dire la vérité, la stricte vérité au personnage austère que j’avais devant moi. Ce censeur portait une chemise jaune-tabac sous une veste grise hors d’âge. Il passait ses journées dans son sombre local, à l’écart de la vie de l’école, loin de la salle des professeurs et près de l’énorme photocopieuse qui sortait nos polycopiés. Il avait la charge de consigner les absences des élèves dans un registre patiné par le temps.

            Je pris une profonde inspiration et frappai à sa porte pour lui donner, en deux mots, la raison de mon absence. Je lus, sur son visage de cire, qu’il doutait de ma sincérité.
« Comment cela enfermé, me demanda-t-il suspicieux.» Alors je jouai mon va-tout et pour obtenir un peu de bienveillance, je lui racontai mon histoire en détails pour la rendre plus crédible.

            Quand je lui dis : « Ce n’est pas de ma faute, je ne savais pas qu’Astrid était une telle tête de linotte, » il me regarda dans les yeux et éclata de rire, un rire gargantuesque qui s’amplifia jusqu’à devenir un fou-rire. Il se leva pour essayer de se contrôler mais il n’y parvint pas et plus il me regardait, plus il riait. J’ai craint un moment pour la santé de cet homme qu’on n’avait jamais vu rire, mais quand Il sortit son mouchoir pour essuyer ses larmes, je ne pus m’empêcher de rire à mon tour. Il riait si fort qu’une secrétaire passa la tête à travers la porte pour s’assurer que nous avions encore nos facultés. Elle ne put s’empêcher de rire à son tour.

            L’homme gris marcha dans la pièce pour reprendre son souffle et me dit entre deux éclats de rire.

– En vingt-deux ans de carrière, jeune homme, j’en ai entendu des vertes et des pas mûres, mais celle-là, c’est la meilleure, personne n’avait encore jamais osé me la faire. Allez, c’est bon pour une fois mais ne me la resservez plus jamais car je m’en souviendrai jusqu’à mon dernier souffle.
            Avant que je ne sorte de son bureau, Il me demanda dans quel secteur d’activité je comptais exercer ma profession ! Je ne sais plus ce que je lui ai répondu mais il me rétorqua,
– Si un jour vous montez sur scène, n’oubliez pas de m’envoyer une invitation.

            A compter de ce jour, les professeurs ne m’adressèrent plus de regards noirs ; parfois, je vis même des sourires bienveillants fleurir sur leurs lèvres…


Nouveaux Thème 2023

Le jury, Cathy Macias, Marie Flamme, Marie Tancrez, Jihem, Gérard Courtecuisse, et Michel L’oustalot, a choisi comme nouveau thème pour le prix 2023, en lien avec les 170 ans du Petit Quinquin :

« Si le petit Quinquin pouvait parler, que nous raconterait-il, sur Lille, sa ville de cœur ? »

Libre cours à votre imagination !

À vos plumes, vos stylos, vos claviers !

Un texte de trois pages maximum, format A4

Date limite des envois : 30 juin 2023

par mail, à lagazettedelille@gmail.com

par courrier : La Gazette de Lille

25 rue du Président Paul Doumer

59493 Villeneuve d’Ascq

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