La Gazette des arts

« Voyage en imaginaire habité » avec Vincent Lelièvre

Des projets et expositions à foison, et désormais un livre… rien n’arrête le prolifique artiste lillois dont les cités imaginaires voyagent aux quatre coins du monde.

Ce qui frappe d’abord chez Vincent Lelièvre, c’est sa simplicité…il s’excuserait presque d’être là. Une extrême timidité qui l’habite depuis l’adolescence et qu’il combat par la force du dessin. Dès ses 14 ans, il dessine des villes étonnantes, symboles d’un univers protecteur qui n’appartient qu’à lui. Profitant de sa vie d’étudiant, il met cette thérapie graphique en pause. Mais en 2013, une rencontre avec l’artiste Michel Degand le pousse à reprendre ses explorations graphiques. Vincent Lelièvre reprend donc ses outils (feutres et règles) et retrouve instantanément ce plaisir et ce besoin de se confronter à la feuille, et ce, sans filet de sécurité.

Aucune ébauche ou esquisse, chaque dessin est un instantané, la captation d’une pensée, d’une émotion directement retranscrite à l’encre noire sur le papier. Passionné d’architecture, et fasciné par la ville et son identité, Vincent Lelièvre s’inspire de ses voyages réalisés ou rêvés, de ses déambulations dans la métropole lilloise qu’il aime pour son implacable beauté, ses contrastes étonnants et son patrimoine unique, mais aussi de livres et films, et recompose ensuite des immeubles ou des villes entières. Et la simplicité du trait n’est ici qu’illusion. Elle cache, en effet, une incroyable maîtrise technique que Vincent Lelièvre cherche à parfaire à chaque dessin. Il l’avoue lui-même, il ne cherche rien moins que la perfection. Cette recherche passe également par un questionnement constant sur sa pratique, comme sur le monde qui l’entoure, et cela se ressent dans l’évolution de ses dessins. Au départ, ces derniers magnifiaient la parfaite complexité du bâti. Puis progressivement, Vincent Lelièvre y a insufflé plus de liberté, expérimentant des formes parfois plus abstraites.

Une liberté qui s’accompagne également d’une remise en question de la ville, comme le montre bien la désormais célèbre Little House, petite maison individuelle faisant face à la menaçante cité tentaculaire de béton. Dans ses autres dessins, façades et pignons se font porteurs de messages. Désormais l’architecture devient langage de l’actualité. Ses créations sont peut-être imaginaires, mais elles sont résolument ancrées dans le réel, tout comme l’artiste lui-même, qui se nourrit d’abord et avant tout des rencontres. Vincent Lelièvre donne son temps sans compter, aime ouvrir les portes de sa maison-atelier et partage en toute simplicité sa passion du beau qu’il rend accessible à tous. Une démarche de démocratisation de l’art naturelle pour celui qui a commencé en bas de l’échelle, exposant dans les bars ou sous la pluie et dans le froid lors des braderies de l’architecture. Un rapport à l’autre qui se manifeste aussi dans la sincère générosité de l’artiste qui s’engage dès qu’il le peut. Il est ainsi devenu le parrain de l’antenne lilloise de Toit à Moi1, une association qui reloge les sans-abri, tout en les accompagnant pour reconstruire leur vie et tisser du lien social afin de casser définitivement l’engrenage de l’exclusion. Une évidence pour Vincent Lelièvre et une manière pour lui de transformer ses maisons inhabitées en outils pour offrir un toit aux sans-abri…ou comment mettre sa poésie graphique au service du bien.

Toujours en quête de nouveau défi, Vincent Lelièvre n’a pas fini de nous faire rêver et voyager…l’été prochain il aimerait explorer les villes de Scandinavie. En attendant de découvrir comment il compte les recomposer, plongez-vous dans son livre2, c’est tout simplement passionnant !

Juliette Courtois


Michel Degand, un mentor d’exception

Vincent Lelièvre insiste beaucoup sur le fait que sa carrière s’est toujours construite autour de rencontres fortes. Et l’une des plus déterminantes pour lui a été celle avec Michel Degand, grand artiste de la métropole, qui nous a quittés le 19 octobre dernier. Peintre, cartonnier, plasticien, tapissier, sculpteur, Michel Degand était un véritable touche-à-tout, qui menait en parallèle une carrière d’artiste et une carrière de lithograveur à la Voix du Nord. Ses
4 000 œuvres sont un témoignage de son talent unique. La fresque en lave émaillée de la station Fives, c’est lui. La fresque en acier, inox et traverses de chemin de fer de la station Rihour, c’est encore lui. On lui doit aussi les impressionnantes tapisseries du Palais de Justice et de l’Hôtel du Département du Nord. Le LAM et La Piscine possèdent certains de ses trésors, dont beaucoup d’autres sont exposés de par le monde.

C’est en tant que graphiste que Vincent Lelièvre a d’abord rencontré Michel Degand dont il a mis en page la biographie ! Une relation unique s’est alors nouée entre les deux hommes qui partagent une même inquiétude à vouloir faire toujours mieux, angoisse qu’ils canalisent dans une relation quasi obsessionnelle à la peinture pour l’un et au dessin pour l’autre, mais les deux artistes partagent surtout une même volonté de transmettre et de créer du lien. L’art comme pulsion de vie.

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