Bas les masques
L‘enfermement imposé ne m’a pas ôté ma liberté, non, il m’a permis de renouer avec elle. Le, ou la, Covid-19, selon les journalistes et les semaines, m’a un peu foutu la trouille, mais cette peur ne m’a pas empêché d’aller respirer l’air nouveau que les foules et les gaz d’échappements ne remplissaient plus durant le confinement. Je suis allé chercher la solitude et l’isolement, et j’ai trouvé les plaisirs simples mêlés à l’angoisse d’être face à soi-même, la caresse du silence, et parfois même la plénitude de l’ennui. Sillonner les rues, à l’affût pour éviter l’amende, et découvrir ma ville avec un regard neuf, a été une aventure étourdissante. Lille désertique avait un charme menaçant, parce que la beauté d’une ville morte pourrait faire oublier combien on l’aime lorsqu’elle grouille de vie. J’ai craint un instant de m’habituer et d’y trouver mon compte. Mais alors que je cueillais l’instant, j’ai fini par être envahi par le manque.
Lorsque la liberté de circuler nous a été rendue, j’ai eu le même réflexe que tous les autres, être inondé par l’espace, et aller me ressourcer au bord de l’eau. En arrivant sur les rives de la Deûle aux abords de la citadelle, j’ai pu voir combien ce lieu comptait pour tous. Le poumon de la ville est ce miroir dans lequel se reflète le soleil et les sourires retrouvés. Alors que je marchais en étouffant derrière mon masque, j’ai constaté l’imprudence, le lâcher-prise, l’oubli de la menace, en voyant ces lillois regroupés en anneaux qui, collés les uns aux autres, formaient une longue chaîne donnant aux quais des airs de grande braderie. L’insouciance avait le parfum du danger, mais celui de se perdre apparaissait bien plus grand. Après cette longue période de confinement, il fallait être ensemble, et bannir de nos vies les réseaux associaux qui ont presque réussi à nous faire croire qu’ils étaient un lien entre les êtres. Sur ces pans de pelouse, la quête était redevenue la vérité des choses, le son d’une voix transportée par la brise, le contact léger d’une peau contre l’autre, et les rires mélangés dans une cacophonie enivrante. Les règles passaient au second plan, et la jeunesse ne se souciait pas de faire tomber le masque, persuadée qu’une décision politique allait écraser un virus.
Depuis le pont Napoléon, alors que je jetais des cailloux entre les nénuphars, je m’interrogeais sur le combat à mener, et son issue : Austerlitz, ou Trafalgar ? Je regardais les gens se retrouver, s’aimer et se le dire, mesurer l’importance des mots prononcés droit dans les yeux, entretenir cette illusion passagère qu’un monde nouveau qui serait radicalement différent du précédent allait surgir de cette épreuve, et je pensais aux mois à venir, et à ce qui nous attendait. Les cailloux formaient sur l’eau des anneaux qui se rejoignaient, et les anneaux formaient une chaîne sur l’eau totalement trouble.
Scolti