Avant que Martine ne décrète la Grand Place « espace de convivialité partagée », c’était déjà une zone de rencontre. On ne l’avait pas attendue.
Dans les années anciennes, (je ne précise pas, comme ça, je ne dis pas mon âge) le samedi, des dizaines de petites nymphettes aguichantes, des Sheila en devenir, des Sylvie de Mons, Fâches ou d’ Hellemmes, des Françoise, style « La Madeleine grand boulevard » attendaient leurs petits copains. Ils se donnaient rendez-vous dans la semaine en glissant à la sœur aînée un petit message griffonné sur une page de cahier. Les Lillois, « les vieux », ne pouvaient même plus rentrer à la Paix, au Moderne ou à La Cave. Dans un nuage d’essence trafiquée à l’éther ou au benzol et dans un bruit assourdissant, surgissaient de la rue Nationale ou de la rue Faidherbe, des hordes de mobylettes bleues, guidon surbaissé, double selle léopard, vinyle, grande antenne à l’arrière. Pot d’échappement coupé ou carbu Dell’Orto, trafiqué pour gagner quelques kilomètres de vitesse.
-« Y a une boum rue Gantois ! » Vroummmmm ! Ça partait comme un envol de flamands roses en Camargue. Les filles avaient intérêt à s’accrocher à la selle en plastique parce que ça fonçait.
« Y en a une au p’tit golf du Croisé» « le caveau ouvre à 16h boulevard de la Liberté. »
En fin de journée, seule la cloche du tramway troublait le silence revenu.
Nos aventuriers du bitume étaient à la maison, scotchés à la télé, en pantoufles, devant la soupe du soir.
Papa rentrait, engueulait maman.
-Ton fils pourrait mettre sa pétrolette dans la cour ! ça sent l’essence jusque dans l’escalier.
-Pas question, va pleuvoir, ma selle est toute neuve.
Ah les beaux samedis que nous passions.