Les gens

Fernande de Saint-Sauveur

Tous les jours vers 15 heures, sauf quand il pleuvait, qu’il faisait froid ou si il y avait trop de vent, je retrouvais Alphonsine et Raymond, promenant leur petite chienne Fernande dans les allées du square du Réduit. Un drôle de nom pour une chienne me direz vous, mais c’était celui de leur ancienne voisine. Fernande, habitait l’ancien quartier de Saint Sauveur, celui que des promoteurs visionnaires à rebours ont détruit pour construire de petits appartements avec salle de bains à baignoire sabot. Tout ça pour les vieux qu’on allait expulser de leurs courées, pour leur offrir, enfin, un logement digne de ce nom !
Après réflexion, les nouveaux appartements ont été vendus à de jeunes cadres dans les années 70, les pauvres de Saint Sauveur furent remisés à Lille Sud dans de vieux HLM, avec vue sur le cimetière, dans de minuscules studios.

Leurs maisons de courée n’étaient pas beaucoup plus grandes, mais il y avait les voisins, ici, au sud, les voisins venaient de Bamako, Cherchell ou Tlemcem et on se comprenait difficilement.
La vue sur le cimetière, c’était pas gênant pour les quelques mois ou années qui leur restaient à vivre, en plus, au printemps, les arbres étaient en fleurs.
Et puis Fernande est morte quelques mois après son arrivée à Lille Sud, mes deux amis sont allés à son enterrement, ils n’étaient pas nombreux, une nièce éloignée et un voisin africain. C’est comme ça qu’ Alphonsine et Raymond ont récupéré cette petite chienne à la mort de Fernande. Depuis, tous les petits chiens adoptés à la SPA qui ont pris la suite, qu’ils soient garçons ou filles, ont hérité du même prénom. A l’époque, Alphonsine et Raymond venaient de se marier, ils ont évité la grande expulsion, car ils habitaient déjà dans un deux pièces hlm avec vue sur la gare de marchandises.
L’appartement de Fernande a été attribué à un travailleur Algérien qui en a profité pour faire venir sa femme et ses trois enfants, cinq dans un studio, c’est un peu juste mais c’était en attendant. Depuis, les trois enfants se sont mariés, alors, pour les deux vieux qui vivent toujours, ça peut aller ! Un jour Alphonsine est venue seule avec sa chienne, Raymond était mort d’un anévrisme de l’aorte, il est mort heureux, il regardait le journal télévisé de Jean Pierre Pernaud.

  • Je crois qu’ils vont me mettre à l’EHPAD, ils ont besoin de mon studio pour un jeune couple avec bébé.
    Il est 17 heures il faut que j’y aille, ma femme m’attend. Alphonsine est déjà repartie en claudiquant, elle a de plus en plus mal aux jambes, c’est de l’arthrose.

Elle a déjà un pied dans la tombe, celle qu’elle a offerte à son Raymond pour reposer ensemble pour l’éternité.

Jihem

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