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Nous entrons dans une petite salle de réunion, classique… sauf qu’une fois la porte fermée il n’y a pas moyen de l’ouvrir de l’intérieur… je ne m’en rends pas compte sur le moment ! Il y a quatre détenus. Quatre hommes attendant dans ce Centre national d’évaluation de la prison d’arrêt de Sequedin, la décision de leur prochaine libération… ou pas. A la fin de l’entretien je comprends qu’ils ont été transférés d’autres prisons de tous les coins de France, ayant eu, tous les quatres, de lourdes peines.

Je me présente : le travail d’écriture, le sujet des livres, le « métier » d’auteur, le pouvoir d’un livre… peu à peu, la gêne s’estompe, les regards se font plus francs : les leurs, le mien. Au bout de la table un des hommes semble s’ennuyer fermement, je lui demande s’il aime lire. Il hausse les épaules. Il est nettement là pour montrer sa bonne volonté de réinsertion. Je l’observe, lui demande de quel pays il est originaire… l’Algérie. Quelle ville ? Oran. Alors je lui montre un de mes livres « L’espérance du retour » avec la ville d’Oran en couverture. Son regard change, il est troublé. Je glisse le livre à travers le table, il le prend, l’observe, n‘ose l’ouvrir, puis soudain le serre contre lui comme un inestimable cadeau, me sourit, ne dit rien…

Parce que j’écris sur l’Histoire, la vie, les échecs, le courage, la lutte contre l’adversité, je sens peu à peu les cœurs de ces hommes s’ouvrir, leur envie d’aller plus loin… et puis la retenue, un silence qui en dit long… une nouvelle discussion qui s’installe, une confidence sur les paroles d’encouragement pleines de bon sens de la mère espagnole de l’un d’eux.

Ils me disent leurs projets de réinsertion professionnelle, espérant qu’enfin les portes de la prison s’ouvrent pour eux… inquiets de la rechute, de cet espace extérieur à redécouvrir, du monde à ré-apprivoiser. Notre rencontre autour du livre devait durer 2h, nous avons parlé et échangé une demi-heure de plus… dans un petit havre d’une paix apparente et étrange quand les cœurs et les esprits, timidement, osent créer une connexion entre des êtres humains qui auraient pu ne jamais se rencontrer.
L’un d’eux avait envie de me parler, encouragé par un des codétenus. « Ma vie est si…  si incroyable », il n’avait pas les mots, il voulait que je les devine, il devait regagner sa cellule… les connaîtrai-je un jour ?
J’avais très peur de pénétrer dans ce lieu dont on ne connaît que le décor et les cris de violence, parce que je hais la violence. J’y ai découvert une humanité noyée d’angoisse, de tristesse, de solitude, de désespérance. J‘y ai découvert des hommes qui osent cependant croire en la liberté, au travail… et peut-être encore à la famille et aux autres… après avoir payé leurs erreurs et leurs énormes fautes.
En partant, deux surveillants, dont une femme, qui avaient noté mon travail de scénariste de spectacles vivants, m’ont demandé avec de la lumière dans le regard, s’ils pouvaient être figurants dans un de mes prochains spectacles !

Oui, écrire est un acte de vie, un « outil » formidable de rencontre de l’autre, et peu importe de quel côté d’une porte celui-ci se trouve !

Elisabeth BOURGOIS


POURQUOI ECRIRE ?

On prend un stylo ou l’on pose les doigts sur un clavier. Pour qui ? Pour quoi ?

Pour soi-même, pour les autres. Pour raconter, convaincre, faire rire ou rêver. Faire pleurer ou témoigner. Pour mettre des mots sur une pensée, un souvenir, quelque chose de précis ou une sensation fugace.
Ce n’est pas sans danger.

Vis-à-vis de soi-même. Ce qui n’était parfois que brume est inscrit là sous les yeux. Il est des choses intérieures qu’on voudrait ne pas voir.
Vis-à-vis des autres. Ce sont « Les oiseaux déguisés » d’Aragon. Derrière une fiction, un personnage, un dialogue, on devine malgré le voile « la douleur dont est brisé » celui qui a écrit.

De là vient parfois que certains qui écrivent se parent d’une armure. Et c’est alors la comédie humaine. La rivalité sans raison, l’autosatisfaction déraisonnable, la crainte haineuse du voisin de salon, les mots durs, les colères tremblantes.

Mais le plaisir d’écrire, mais le bonheur du mot juste, mais l’idée
qui surgit le matin au réveil et qui va faire son jour, courir sur un papier.

Alors l’effort d’écrire, alors la phrase qu’on arrache au néant, celle qu’on rature, qu’on efface, qu’on allège, qu’on cisèle … Et un jour tenant son livre entre ses mains, se dire « c’est mon enfant ; il vient de moi mais déjà il ne m’appartient plus » et l’offrir à la vie.

Et écrire alors c’est vivre.

Jean-François ROUSSEL


 

 

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