En 1850, grâce à l’entregent d’Arthur Gentil-Descamps qui apprécie le travail du Lillois, il obtient un poste à l’Hôtel des monnaies, puis à à la mairie dans le service de l’état-civil, Ce n’est pas la richesse mais la misère s’éloigne. En 1853, il compose la chanson qui sera son plus grand succès : « le P’tit Quinquin, L’Chanson dormoire ». Comme la plupart de ses collègues chansonniers, Desrousseaux utilise des « timbres »… c’est-à-dire des mélodies connues, sur lesquelles on plaque les nouvelles paroles pour en faire une chanson. Le texte du « P’tit Quinquin » est réfractaire à tous les airs du répertoire. Jamais, Desrousseaux n’avait osé composer auparavant sa propre musique. En quelques semaines, la chanson sera connue dans toute la ville. Sur les 2 000 textes que publiera Desrousseaux au cours de sa carrière, il ne composera la musique que pour 92 d’entre-elles. A la mairie, tout va pour le mieux. Le voici devenu directeur des services de l’Octroi. Il y montre beaucoup de pugnacité et une qualité rédactionnelle remarquable. En revanche, son travail l’accapare. Un journaliste, facétieux, prétend que Desrousseaux « aurait été assassiné par un employé de l’Octroi ! » Mais l’auteur-fonctionnaire, n’a cure de ces sarcasmes. Il touche un coquet salaire. Il vend aussi les livrets de ses chansons (plus de 100 000 exemplaires pour le seul P’tit Quinquin, de 1853 à 1890). Dans les années 1860, il se fait construire une grande maison neuve, rue Jacquemars–Giélée, dans le nouveau quartier, gagné sur la démolition des remparts. Il y côtoie les patrons, les négociants et toute l’élite de la ville. Devenu un notable, Il se fait portraiturer en costumes trois-pièces, de coupe élégante, avec une chemise à jabot et un nœud papillon, immaculés. Il est une icône que l’on retrouve sur des assiettes, des marques de crayons et même des pipes façonnées à son image. Quand il décède, le 23 novembre 1892, c’est un véritable traumatisme parmi chez les Lillois.
Photo Frédéric Legoy, Musée de l’Hospice Comtesse.
Le 27, on organise ses funérailles. Suivi d’une foule innombrable, son cercueil est acheminé vers le cimetière de l’Est. Il est précédé par ses amis de la musique des Canonniers volontaires qui joue le thème du P’tit Quinquin sur un rythme très lent. A cette occasion, l’un de ses amis, le chansonnier roubaisien Gustave Nadaud, écrit en guise d’épitaphe :
“ Desrousseaux, le dernier des trouvères du Nord, Garda de nos aïeux le langage et le style ; Il vécut plein d’honneur et lègue, après sa mort, Tous ses chants à la Flandre et tout son cœur à Lille. »
Photo Frédéric Legoy, Musée de l’Hospice Comtesse.
La presse n’est pas en reste. Etienne Durand trouve même des accents littéraires pour saluer la mémoire du « Grand Homme » dans » l’Echo du Nord » : « En le perdant, le peuple de Lille a perdu son âme, car l’âme de Desrousseaux était l’âme du Peuple…du brave Peuple qui travaille et qui aime… qui sait pleurer et rire. » L’homme était parti mais son esprit est toujours là… pour des générations.
Alain Cadet