L’enfant a compris seul comment ça fonctionnait. Des formes, qu’on appelle Lettres et qui, associées à d’autres représentent tous les mots qu’il entend et ceux qui n’ont jamais chanté à ses oreilles. Il suffisait d’associer la bonne forme au bon son, puis d’associer les sons entre eux. Simple.
Au CP, les choses semblent presque trop faciles pour l’enfant, à qui on laisse pour la première fois la possibilité de découvrir presque seul les contenus de l’objet qui fait rêver. Quand il rentre de ses journées d’école, il file directement chez les voisins d’en face. Sa mère y travaille comme femme de ménage, le carrelage de la maison est ciré, la demeure est bien meublée, et elle contient une bibliothèque.
Il se tient penaud et presque honteux devant la porte, et il finit toujours par trouver la force de sonner. C’est parce qu’il sait qu’il pourra emprunter un ou deux livres des enfants de la patronne, qui grimacent un peu mais qui le laissent faire parce qu’il joue bien au football. Grâce à eux, il lira toute la collection des Oui-Oui, quelques autres livres de la bibliothèque rose et de la bibliothèque verte, et des dizaines de bandes-dessinées. Lorsqu’il monte sur le podium en fin d’année, il est celui qui reçoit le plus de livres pour le récompenser de sa première place. Les gens applaudissent. Il est fier de faire briller l’œil de ses parents, mais ce qui fait le plus battre son cœur ce sont ces pages noircies de mots collées contre sa poitrine. Il sait qu’en elles se cachent les ébauches de ses rêves, les vérités qu’il entremêlera, les rires qu’il ne retiendra plus, les peurs qui lui tordront le ventre avant qu’il s’endorme, et le début du décodage de ce à quoi pourrait ressembler l’amour.
L’enfant a désormais sa carte à la bibliothèque municipale. Les deux kilomètres à pied ne le freinent pas, et chaque mercredi, alors qu’il a à peine sept ans, il s’y rend, parfois seul, parfois accompagné de sa mère, et repart avec trois livres qu’il aura rapidement fini et qui l’obligeront à retourner chez les voisins en attendant qu’un autre mercredi arrive.Les années s’écoulent. Souvent il ne comprend pas ce qu’il lit, car il ne prête pas attention à la difficulté que contiennent les pages qu’il caresse. Mais il lit.
Comme s’il savait qu’un processus secret se mettait en place dans son cerveau sans même qu’il le commande. Les livres le nourrissent, le font se sentir libre, lui permettent de fouler des terres qui deviennent de plus en plus familières, le font frissonner, le rendent incrédule. Il pleure parfois, et aime voir ses larmes se répandre sur les pages et flouter le texte. Il s’approprie les mots. Il s’approprie les codes. Il commence à rejeter, et à modeler la plume qui lui permettra à son tour de poser des mots sur du papier. Il écrit.
Scolti