Lille instantanée Scoti

Jour de canicule

Pas d’sac à dos ni Salomon de rando à la con. Pas d’tente. Pas d’location qui troue les poches. Pas d’hôtel qui grouille de marmots, de bermudas-chaussettes-claquettes et de cheveux décolorés sur capital-soleil à zéro. 39 degrés s’abattent sur mon crâne rasé. Sans prendre l’avion.

Le soleil tabasse, liquéfie, et l’illusion d’une trêve passe par quelques points d’ombre et des brumisateurs improvisés ici et là. Chacun cherche l’eau. Celle qui apaise la pâteuse. Celle qui coule du crâne à l’échine quand on s’asperge à grands flots. Celle qui enlève le sel piquant des yeux plissés. Le ciel n’est qu’un immense voile bleu, rien qui accroche la rétine. Paisible et infini. Flâner est une épreuve que tentent quelques badauds qui, comme moi, slaloment entre les arbres plantés dans des pots de fleurs géants, simulacre de forêt urbaine. Grand Place.

Le ciel n’est qu’un immense voile bleu

Sur cette terrasse, deux filles aspirent mon regard, me font oublier une seconde que la chaleur me compresse. Elles sont un sourire sur ma grimace. J’trace. La Treille n’est qu’un grand vide. Chaises désertées qui portent la mémoire d’un printemps agité. L’herbe est paille et craque sous les pas. Un médiator sur la terre sèche rappelle la soirée de la veille, quand la vie a repris ses droits à l’arrivée de la nuit. Manque le sourire de ces filles pour verdir cette pelouse. Îlot Comtesse. La mosaïque de rectangles jaunes est une terre
d’accueil pour deux-trois mecs qu’ont pas le choix et qui trouvent la force de téter des bibines. Besoin d’eau fraîche. Place des Patiniers, piqûre de rappel : cette ville est un chantier perpétuel. Ramsès II est sorti du tombeau. On fait pas 4 rues sans croiser une pelleteuse. Du y avoir une guerre. Du louper un truc. Et le soleil continue de me narguer. J’vide mon Evian glacée sur le chemin qui mène à la place du théâtre. Un groupe de touriste admire l’opéra, résiste sans sourciller aux rayons et à l’accent approximatif du guide tandis que le beffroi menace de fondre.

Le soleil continue de me narguer

Dans le calme de la Vieille Bourse, j’reprends des forces avant de pousser jusqu’à Répu. J’croise pas la foule sur les pavés. La place accueille des brumisateurs qui rigolent pas, jets puissants, j’me rue dessous jusqu’à dégouliner. Le T-shirt moule ce corps qui garde les traces des raclettes de l’hiver. Un couple de voyageurs à vélo m’imite, porte-bagages qui déborde, alors qu’à quelques mètres on entend les cris du troupeau qui se rapproche. 

Les mioches déboulent, les animateurs hurlent, j’décide de céder la place, faudrait pas que leurs voix stridentes m’arrachent encore plus le crâne. J’chope le bas de mon t-shirt pour
m’essuyer les yeux, mes paupières s’ouvrent sur leurs yeux rieurs. Elles sont là. Les sourires sur ma grimace. Comme moi, elles traînent et font de cet énième jour de canicule une possibilité de vivre. J’me dis que l’errance est douce. Ces filles sont un voyage, l’éclat d’un été qu’on ne croyait plus possible, et font de Lille ce bout du monde qu’on
imagine parfois.

 

Scolti

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