Lille – Fives
Madeleine Caulier
En 1708, la France va mal. Les finances sont au plus bas, l’armée est en plein désarroi, le peuple n’a plus peur de se plaindre. Lille est assiégée par Marlborough (pour les curieux : un ancêtre de Winston Churchill) et le prince Eugène qui est passé au service des Habsbourg après le refus de Louis XIV de le voir servir dans les armées Françaises. Quatre- vingt quatorze pièces de canons et soixante mortiers harcèlent une ville affamée, défendue par le vieillissant maréchal de Boufflers et une garnison épuisée.
Une armée de secours est envoyée, commandée par le jeune et présomptueux duc de Bourgogne, petit fils de Louis XIV et le duc de Vendôme, tout aussi gonflé d’orgueil que d’incompétence, paresseux et grossier. Les ennemis gagnent du terrain, la situation est de plus en plus critique. A Versailles, le roi désespéré décide d’envoyer son ministre de la guerre pour débloquer la situation. Ce n’était pas vraiment l’homme de la situation mais il était apprécié par le Roi et surtout, protégé par Mme de Maintenon. L’état-major, réuni à Avelin, décide d’une attaque surprise qui pourrait coïncider avec une sortie opportune des assiégés. Pour cela, il fallait envoyer un émissaire à travers les lignes ennemies, mais les volontaires ne se pressaient pas au portillon. C’est alors qu’une grande et forte femme du peuple, volontaire, solide, se propose, au grand soulagement des hommes présents. Madeleine Caulier est servante à l’auberge du Tourne Bride, menant son monde à coup de torchon .Elle n’a peur de rien, ni des hommes, ni des chevaux.
« De ma cuisine j’ai tout entendu, j’irai porter le message, je connais les sentiers à travers champs, ce qu’un homme ne veut pas faire, une femme le fera, comme on dit chez nous… »
A Templemars, Madeleine est arrêtée. Conduite devant le général Cadogan, elle est fouillée, interrogée puis relâchée. Au pied des remparts de Lille, les choses se compliquent, l’officier français se méfie et fait chasser cette paysanne. « -Retourne dans ton village, les clients de l’auberge t’attendent, une belle femme comme toi ça ne doit pas manquer de galants… » Furieuse, elle insiste, tempête, crie si fort, que le Maréchal de Boufflers, pourtant méfiant, prend connaissance du message et la laisse repartir. De retour au Tourne bride, elle rend compte au Duc de Bourgogne de sa mission puis rejoint sa cuisine.
Quelques jours plus tard, l’attaque concertée a lieu. La garnison Lilloise fait preuve de bravoure, mais l’incompétence du duc de Vendôme réduit à néant tous leurs efforts… Le duc de Bourgogne et ses hommes se replient sur Douai. La reddition de Lille aux Anglo-Hollandais n’était plus qu’une question de jours. Ces attaques simultanées avaient attiré l’attention des généraux ennemis. A coup sûr un message était arrivé au Maréchal Boufflers. Qui l’avait porté, sinon cette paysanne ? Elle seule, avait réussi à traverser les lignes ces derniers jours.. Madeleine pensa que les ennemis la feraient rechercher.
Elle supplia les officiers de la laisser s’engager dans l’armée :
-Je suis forte comme un homme, je n’ai peur de rien, j’aime la vie de camp et je sais soigner les chevaux.
-Soit, tu seras dragon.
Le lendemain Madeleine quitte Avelin avec le régiment de M de Coigny, fière dans son bel uniforme. Pendant quatre ans elle prend part à tous les combats, à toutes les escarmouches, d’un bout à l’autre de la frontière du nord. En 1709, à la bataille de Malplaquet, elle se fit remarquer en chargeant gaillardement à la tête de son bataillon. Le 24 juillet 1712, devant les retranchements de l’ennemi entre Lourches et Denain, on donne ordre aux dragons d’attaquer.
Madeleine est foudroyée par une décharge de mousquet. Ainsi s’acheva la courte, mais palpitante, carrière militaire de notre héroïne. Si la ville de Lille a donné son nom à cette place de Fives, ce n’est pas pour rien quand on connaît les femmes du quartier.
Ce qu’un homme ne veut pas faire, une femme le fera !