Petite Histoire lilloise de l’Internationale


Mais un jour, lors d’un banquet de Sainte-Cécile très arrosé du Parti Ouvrier de France, Gustave Delory déclare :

“ Je ne remercierai jamais assez notre camarade Pierre Degeyter d’avoir composé cet hymne magnifique qu’est l’Internationale. »

Bien entendu il y avait des mouchards du Patronat dans la salle et Pierre Degeyter est licencié sur le champ. L’ouvrier-musicien est inscrit à l’encre rouge dans la liste des indésirables du patronat lillois. Degeyter va trouver un petit boulot très mal rémunéré chez un artisan menuisier du coin, où il fabrique
« des escaliers », voir « des cercueils ».
Il n’a d’autre ressource que de s’expatrier. Il trouve un travail obscur à la mairie de Saint-Denis, dans la banlieue parisienne. Entre-temps, L’Internationale est devenue un tube planétaire… très rémunérateur pour celui qui l’imprime et en possède les droits. A Lille, Gustave Delory dirige une petite imprimerie qui fonctionne en symbiose avec le POF. Il imprime des partitions de L’Internationale à tour de bras. Il fait signer à Adolphe, le petit frère de Pierre, très influençable après quelques verres, une lettre où celui-ci prétend être le véritable auteur de l’Internationale :

“ J’ai composé la musique de l’Internationale au mois d’avril 1888, deux mois après le décès de ma mère. »

Désormais, à Lille, Adolphe est réputé être le véritable auteur du morceau. Commence un procès interminable entre les deux frères. Adolphe, dans Lille occupée, est persécuté par les Allemands. Il va se suicider en 1916. Quelques mois auparavant, le 27 avril 1915, malgré l’interdiction de faire passer en zone libre tout document, il envoie à son frère une lettre : « Cher frère, Je n’ai jamais fait de musique, encore moins l’Internationale. Je n’ai pas cru tant mal faire en signant ce papier » La Guerre finie, Gustave Delory, redevenu maire de Lille, fait ériger une belle dalle de marbre sur la tombe d’Adolphe, enterré à la va-vite, quatre ans auparavant. C’est l’occasion d’une belle cérémonie prolétarienne, 1er mai 1920, en l’honneur du présumé musicien. « On sait qu’Adolphe Degeyter est l’auteur de la musique du chant révolutionnaire »,
écrivait le lendemain, Le Grand Hebdomadaire illustré de la Région du Nord. Il faudra attendre le 23 novembre 1922, pour que la Justice reconnaisse que « Pierre Degeyter est l’auteur de la musique de l’Internationale », rétablissant ainsi l’ancien Chef de chœur de La Lyre des Travailleurs dans ses droits.

Alain Cadet

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