Des gaufres… des lèvres et des livres
La gaufre de Chez Méert… notre Madeleine de Proust ! Dans les escaliers de la pâtisserie qui mènent au Salon Marguerite Yourcenar, un portait de Marcel Proust arrête le regard. L’écrivain appréciait et connaissait déjà la gaufre à la vanille du Nord. A l’ombre des jeunes filles en pleurs, il écrit : « Les gâteaux étaient instruits, les tartes étaient bavardes. Il y avait dans les premiers des saveurs de crème et dans les secondes des fraîcheurs de fruits qui en savaient long. »
Ecrivains, poètes, artistes, chefs d’Etat, têtes couronnées ont toujours été fascinés par la plus ancienne pâtisserie d’Europe, créée en 1761 au 27 de la rue Esquermoise à Lille, par le confiseur chocolatier Delcourt, reprise par Méert en 1849.
« Un accent, aigu de surcroît, s’est posé sur le premiere. Mais à Lille et alentour, on a décidé de l’ignorer. On prononce « meer » tout simplement. Comme “mère”. Et elle est bien, cette maison au flamboyant décor, la mère de tous les amoureux des glaces, des chocolats et des gaufres. Douceur, tendresse, saveurs, bonheur exquis… », confie Jacques Duquesne.
Le livre d’or de la Maison ressemble au Bottin mondain. En 1864, le pâtissier Méert devient le « Fournisseur officiel de Sa Majesté le roi Léopold 1er », roi des Belges. Les familles royales de Bourbon de Parme et d’Orléans sont de sacrés clients. Dès l’enfance, Charles de Gaulle découvre les gaufres lors des vacances passées à Lille dans la maison de ses grands-parents maternels, rue Princesse. Président, il continue, dit-on, de se faire livrer à l’Elysée, puis à La Boisserie. Napoléon, Jackie Kennedy, Winston Churchill, Marguerite Yourcenar, Jean d’Ormesson, Alain Souchon, Jean-Claude Casadesus sont passés par la pâtisserie. Et même, un certain… Buffalo Bill. Lors d’une grande tournée européenne de son spectacle Wild West Show, il fit escale à Lille en 1905 sur le Champ de Mars avec bisons et cow-boys. On l’imagine prendre le thé en tenue de Far West dans les décors du Salon Louis XVI de chez Méert !
Mais la palme de l’enthousiasme revient sans aucun doute à Amélie Nothomb. Au micro de France Bleu Nord, elle demeure intarissable :« Caramba… En 1999, je découvre une gaufre française qui surclasse toutes les gaufres belges. Un coup de foudre. Quand j’ai découvert que j’avais au moins un point commun avec Marguerite Yourcenar, la gaufre de chez Méert, cela a été formidable. Les gaufres Méert, c’est une arme de destruction massive. La bible des gaufres ! Le but de ma vie était d’avoir ne serait-ce qu’un point commun avec Marguerite Yourcenar… » Résultat : Amélie Nothomb qui n’accepte jamais de préfacer un livre fit une exception pour l’ouvrage d’Achmy Alley : « Marguerite Yourcenar, portrait intime ». La collection André Breton Ancien directeur de la Villa Mont Noir et chercheur en littérature contemporaine, Achmy Alley présenta comme il se doit l’ouvrage en novembre 2018 chez Méert… en compagnie d’Amélie Nothomb !
Aux côtés du Président Thierry Landron, l’historien et gardien de la mémoire Paul-Henri Guermonprez entretient, il est vrai, la proximité de la pâtisserie Méert avec les écrivains. Plusieurs ouvrages furent publiés, dont en 2012 « le Méert, gaufres et délices » par Geoffroy Deffrennes et par Corinne Vanmerris ou en 2016, « Méert, Nos illustres gourmands » par Franck Maubert, avec des dessins de Pierre Le Tan.
Le 25 novembre 2022…
c’est au sein de la pâtisserie que l’association « Écrivains des Hauts-de-France » organisa sa grande soirée de lancement avec près de 120 écrivains, auteurs et responsables culturels de la Région.
L’année se termina par une soirée Gaufres et gaufrettes avec Daniel Kay et Jacques Darras, publiés respectivement par Invenit et par Cours toujours éditions.
La Maison Méert renferme, enfin, bien des secrets dans ses sous-sols. Une caverne d’Ali Baba avec près de 5000 ustensiles de cuisine dont la plupart datent du 17 e siècle. Soudain, autour de la cheminée centrale, une accumulation de moules à hosties, de moules à oublies et de moules à gaufres. Les instruments métalliques dégagent une puissance singulière. Ils proviennent directement de l’appartement et atelier d’André Breton, 42 rue Fontaine à Paris. « Lors de la vente de la collection Breton chez Drouot en avril 2003, j’ai eu beaucoup de chance, explique Paul-Henri Guermonprez. J’y suis allé sans beaucoup d’espoir. Et puis, finalement, au milieu des œuvres de Miro, de Dali, de Magritte, de Man Ray, de Duchamp, au milieu des statues de tous les continents, au milieu des manuscrits, les moules à gaufres sont passés un peu inaperçus. » Pas pour Paul-Henri !
La Maison Méert reste attentive à tout ce qui nourrit notre sensibilité contemporaine. La gaufre à la vanille garde le parfum du péché… Le péché de gourmandise. Entre les lèvres, se glisse comme un goût de fruit défendu. Un plaisir coupable.
Dans la Psychanalyse du feu, Gaston Bachelart écrit : « Et déjà la gaufre était dans mon tablier, plus chaude aux doigts qu’aux lèvres. Alors oui, je mangeais du feu, je mangeais son or, son odeur et jusqu’à son pétillement tandis que la gaufre brûlante craquait sous mes dents. »
Hervé LEROY