Républicain OU démocrate
Ouais voilà, avec une sorte d’alternance, et puis y a des pays où étrangement ça ne prend pas, et donc on dit que le pays est fracturé parce que c’est en trois blocs. On verra. En tout cas moi ça me plait le côté « irréductibles gaulois » (rires)
Où se situe l’injustice aujourd’hui ?
On a une belle devise républicaine. « Liberté, égalité, fraternité ». Liberté, tout le monde comprend, et on pense qu’il n’y a plus de limite à ça etc, faudrait qu’y ait pas d’entraves. Alors je suis peut-être liberticide, mais je pense qu’au contraire il faut cadrer les libertés. Concernant l’égalité, personne n’est pour une égalité parfaite, on est pour une équité. Si je te demande de venir m’aider à déménager, tu viens avec des potes, y en a un qui va se fader 80 cartons dans les escaliers, y en a un qui va en descendre 3 en fumant des clopes tout le temps, et il dira « putain on a fait le déménagement ensemble ». Mouais (rires). Dans l’annonce, on l’a fait ensemble, il était présent. Concrètement, c’était pas équitable. C’est intéressant de réfléchir un peu là-dessus. Aujourd’hui, on est dans un système bizarre où l’échelle des salaires va de zéro à l’infini, il va peut-être falloir questionner ça, quoi. Les 10 français les plus riches possèdent plus que 27 millions de français. Un moment c’est du non-sens, c’est juste complètement dingue. Je ne sais pas imaginer vivre dans un pays où il y a 10 millions de pauvres. Aujourd’hui, quand tu sors d’une gare, tu vois des gens avec des corps fatigués, abimés, des corps en douleur, on peut pas dire qu’on est la 7ème puissance économique mondiale quand on voit tout ça.
Pour vivre et ressentir l’injustice, il suffit juste d’avoir les yeux ouverts et de regarder autour de soi finalement
Ouais. Après l’an mille, après l’an deux mille, j’aimerais qu’arrive l’empathie. (rires)
Y en a pourtant que ça semble ne pas choquer. Est-ce que s’indigner est suffisant ?
Non c’est pas suffisant, mais c’est le début de quelque chose. Et faut que chacun prenne conscience du pouvoir qu’il a. La monarchie est abolie, le mec qui dirige, ça peut être toi demain, à partir du moment où tu te mets en marche. Pas au sens trou-du-cul du terme hein (rires). Vraiment, à partir du moment où tu décides de dire qu’il y a moyen de dire non, d’avancer, de lutter, de mener des initiatives…Mais je trouve qu’il y a des choses qui bougent, réellement ! J’ai espoir. Je trouve que les jeunes sont bien moins cons que ce qu’on a été.
Alors justement, est-ce que la jeunesse emmerde encore le Front, devenu Rassemblement, National ?
Le problème, c’est qu’on a vu comment ça s’est construit. À partir du moment où on a vu s’installer une fabrique du non-choix. On nous a vendu un scénario qui fonctionne très très bien, « on a évité le pire ! ». Imaginez que Mélenchon ait été au second tour !!! Tous les journalistes auraient du réécrire leurs trucs, y aurait fallu refaire des nouvelles fiches. Avant le premier tour, Le Pen était tout à fait « normale », y a même un Darmanin qui lui dit qu’il la trouve un peu molle, et d’un seul coup le premier tour est terminé et il faut re-diaboliser Le Pen, alors qu’on avait 5 ans pour le faire ! 5 ans pour dire « attention, c’est terminé cette affaire ! » « écoutez la toxicité, le venin, de cette nana ou de son mouvement , dans leur essence, à plein plein de niveaux ». C’est pas parce qu’elle met un masque un peu social et qu’elle cite deux fois Jaurès…un moment, elle a grandi sur les Champs Élysées, dans les beaux quartiers, je pense pas qu’elle ait fait beaucoup de manifs dans sa vie ! Et je sais pas à quel moment elle a été dans nos combats.
Ouais, y a eu cette idée, au nom d’une forme d’ouverture d’esprit, et au nom de la démocratie, de laisser la parole, qui a contribué à la montée, mais tu parlais des manifs : est-ce que la contestation n’est pas morte quelque part ?
Je ne crois pas. Ce peuple des ronds-points, ce qui s’est passé avec le mouvement des gilets jaunes…ça serait une insulte envers tous ces gens mutilés, blessés, de leur dire que c’était vain et que la contestation est morte. Un moment, il faut saluer tout ce qu’ont fait ces gens, le courage qu’ils ont eu, véritablement. Et par contre il faut s’alerter sur la répression qu’il y a eu là-dessus, c’était une répression inédite à ce point. Y a eu des éborgnements, des mains coupées. Y a un documentaire que je vous invite à regarder : « Un pays qui se tient sage ». Tout ça est insensé…insensé…
Comment t’expliques que ça passe ? Parce que ça passe, nan ?
Bien sûr que ça passe, mais y a quand même des belles machines à consentement. Ça s’appelle les médias, la télévision etc…ça se canalise tout ça. Mais tu sais, pour la musique c’est la même chose, tu découvres un groupe, quel que soit le style, tu trouves ça vachement bien, et tu soutiens ce groupe et tu lui souhaites du succès, et le jour où ce groupe a enfin du succès t’auras toujours un pote qui dira « mouais, mais c’est devenu commercial », donc déjà à cette échelle on se divise. Enfin voilà, et donc tu te dis « est-ce que la contestation doit être mainstream, ou cloisonnée, est-ce qu’elle doit prendre de la place ? ». Bien sûr que oui que la contestation doit prendre de la place ! Et donc un moment il faut lui donner les moyens de devenir quelque chose ! Tout en restant vigilant. Mais c’est pas mal qu’un discours fédérateur devienne populaire.
La contestation perd un peu de légitimité quand elle est trop répandue, aux yeux de certains ? Il faut qu’elle reste minoritaire pour être légitime ?
Ouais voilà c’est ça ! Comme si c’était légitime que dans la clandestinité. Et c’est une vraie erreur, réellement.
Qu’on commet depuis des décennies
Bien sûr.
On poursuit. Vu les messages de paix que les religions véhiculent, qu’elles prennent de plus en plus de place dans la société est une bonne nouvelle, ou ça fait peur ?
J’entends complètement les questions de spiritualité et de foi. Comme disait Brassens, la foi viendra d’elle-même ou elle ne viendra pas. Pour le moment, en ce qui me concerne, elle n’est pas là. C’est pas fini, peut-être qu’un jour, comme un Bob Dylan, je serai traversé par la foi. Mais bon, je respecte les gens qui ont la foi. Maintenant les dogmes c’est autre chose. C’est intéressant de réfléchir à l’objectif des 3 monothéismes, parce que c’est « expansionnisme absolu ». Des religions, il en existe des milliers. Ce qui est curieux, c’est que quand tu veux acheter une paire de pompes ou une machine à laver, tu prends le temps de comparer, d’aller voir ici et là. Là, visiblement, très peu de gens choisissent leur religion, on leur donne le package à la naissance. Y a rarement des conversions, reconversions. Tu vis avec, tu grandis avec, et moi ça me questionne un peu, et c’est pour ça que la philosophie m’intéresse autrement plus, parce qu’en postulat on met le doute. Quand en postulat tu mets « il n’y a de dieu que dieu », ça peut pas t’aider à grandir vraiment. Je crois pas.
Revenons à la musique. Est-ce qu’on est Marcel & Son Orchestre à plein temps ?
Non. Comme tout le monde on fait plein plein de choses. On se pose la question de savoir ce qu’on va se faire à bouffer à midi (rires)
Qu’est-ce qui change avec l’âge, sur la vision du monde, les combats, les angles philosophiques ?
Je crois que ça va ça vient tout ça. Honnêtement, le côté « s’assagir » et tout ça, je sais pas bien ce que ça veut dire. Après, je sais pas si j’ai le même cœur, ou le même estomac, mais en tout cas j’ai la même rage. Y a tellement de raisons de se révolter.
Mais beaucoup lâchent, avec l’âge
Ouais. Tu sais, j’ai rencontré pas mal de personnes pendant cette campagne présidentielle, et notamment Annie Ernaux, l’une des grandes femmes de la littérature, qui est une trans-classe, qui vient d’un milieu très populaire, et qui est devenue prof, puis écrivain célèbre, et qui se retrouve en difficulté avec son milieu d’origine, parce qu’ils s’aiment, mais ils ne voient plus quoi se dire ou comment se le dire. On est plein dans ce situations, c’est un peu compliqué quelques fois. Mais pour autant, on sait pourquoi, et comment, garder contact, comment travailler ce monde à bâtir, et surtout un monde pas cloisonné. Et donc j’ai eu cette chance de rencontrer Annie Ernaux, Suzanne Georges, des femmes qui ont plus de 70 ans, Suzanne Georges a 87 ans, et elle est toujours là dans les luttes, et je pense qu’elle sera là jusqu’au bout.
Je vois…Quels sont les projets et les envies de Marcel & Son Orchestre ?…à quoi va ressembler demain ?
Ce qui est compliqué aujourd’hui pour Marcel & Son Orchestre, c’est que t’as donné un ton d’un ado des années 80, avec une insouciance, une légèreté, où on rigolait peut-être pas des mêmes choses. Moi je suis un enfant de Fluide Glacial, de Charlie Hebdo, et je découvre qu’il y a des générations qui n’ont plus ces canaux de lecture, qui ne comprennent même plus, et qui pensent même y voir du sexisme, du racisme, plein de choses, là où il y avait simplement de la provocation. C’est compliqué cette question de provocation avec les nouvelles générations qui, constamment, veulent faire les redresseurs de torts. Mais un moment il faut d’abord savoir casser les tabous, et jouer de tout ça. Je trouve qu’il y a quelque chose d’extrêmement sage dans les nouvelles générations, c’est à dire qu’on a peur de heurter etc, y a même des mots qu’on n’utilise pas. Je sais pas, je pense pas que PD, enculé, soient des gros mots, y a pas de mot « sale » dans l’absolu, tu peux mettre de l’affection dans tout, tu peux utiliser des mots gentils et pour autant y mettre un mépris absolu, donc il ne faut pas se faire avoir par la forme, et je trouve qu’on est essentiellement dans la forme, plus suffisamment dans le fond. Moi j’aime bien la provocation. Bien entendu. Marcel a été nourri par ça, et faut voir comment on l’adresserait aujourd’hui. Un moment tu te demandes si c’est à toi de t’adapter, ou est-ce que c’est aux plus jeunes de faire l’effort de comprendre ce que j’ai envie de dire. C’est toujours la difficulté, artistiquement. Mais bon, je vais pas faire la pute, je suis ce que je suis. Je suis un mec de 55 ans, et qu’est-ce qu’on raconte dans le rock’n’roll quand on a 55 ballets ? Tu te poses la question sur ce que t’as envie de dire et d’écrire. Je ne suis plus un teenager, et j’ai pas envie de faire un rock adulte à la Toto, parce que c’est chiant comme la pluie !
Est-ce qu’on traine des regrets quand on a 55 piges ?
Pfff. Non, je me suis bien marré moi. Franchement. Je trouve que ça passe comme une balle, ça passe très vite. J’ai envie d’en profiter encore. On a jamais eu un appétit féroce, ces histoires de plan de carrière on en a rien eu à battre, et les 10 premières années de Marcel on s’est même pas posé la question de ce qu’était la SACEM, l’intermittence du spectacle, on avait rien déposé, et sur les fiches SACEM on écrivait dans les cases : auteur, ta mère ; compositeur, le pape ; ou Alain Delon, ou Merde à celui qui le lira. On en avait rien à carrer de tout ça, et c’est peut-être ce qui a donné la longévité, parce qu’y avait pas de calcul. Aujourd’hui y a des gamins qui montent des projets, avec de N+1, N+2, avec des objectifs, faut qu’en en soit là ou là. C’est une connerie, parce que c’est générateur de frustrations, de désillusions, de démobilisation. Tu dois simplement vivre les concerts en te disant « putain on a passé un super week-end, et j’espère qu’on en passera d’autres ». Et puis le jour où ça te fatigue tu fais autre chose.
Un dernier mot ?
Toboggan
Merci Franck, merci Marcel & Son Orchestre
Merci Scolti ! (rires)