L’Atelier de la Monnaie

C’était ça le vieux Lille dans les années 60

Il a fallu qu’un événement historico-mondain se passe dans la rue de la Monnaie, la pose d’une plaque souvenir à l’emplacement de l’atelier de Jean Brisy, et ma rencontre avec Béatrice Brisy, pour que les souvenirs de mes dix-sept ans se bousculent dans ma tête.

Je vous parle d’un temps où les rues du vieux Lille, à la tombée de la nuit, n’étaient pas des plus rassurantes, ce n’était qu’un amas de bicoques à l’abandon prêtes à s’effondrer, squattées par tous les marginaux de Lille de l’époque, travailleurs immigrés ou étudiants fauchés. Il suffisait de choisir une maison d’y remplacer la serrure et de s’y installer, pas toujours d’électricité, ni d’eau, encore moins de toilettes mais on se débrouillait.Les seules façades éclairées le soir étaient celles des maisons de passe ou bars à filles. Bien loin des boutiques de marques actuelles qui se partagent à prix d’or les rares espaces libres !

Alors difficile de comprendre, maintenant, pourquoi sur cet espace des plus réduits se sont rencontrés, en ce lieu, tant de grands artistes. En partant du bar tabac de Madame Tricoit, la cave de Jean Brisy et l’atelier de la monnaie, la boutique de fournitures pour artistes chez Fievet jusqu’au café de madame Ronse, l’école des Beaux-Arts , la grande, celle de Simons, et de Pharaon de Winter, le conservatoire, à deux pas, le TPF de Cyril Robichet, et puis c’était tout notre univers. Ça nous suffisait puisque toute l’intelligentsia Lilloise était regroupée sur ces 200 mètres de pavés. En tout cas, avoir 20 ans dans ces années là restent gravé de façon indélébile dans ma mémoire.

C’était les grandes années du vieux Lille avant que les ateliers d’artistes ne laissent la place aux boutiques de mode. L’atelier de la monnaie, bien évidement était le centre de tout, Roger Frézin un modèle pour tous, on s’habillait comme lui tout en noir, grande écharpe de laine autour du cou, style artiste fauché.

Et l’atelier de Jean, point chaud de la rue et un four pour y cuire des poulets quand il n’était pas occupé par des poteries en cuisson. Pour la boisson, pas de problèmes ! Originaires d’un pays de bon vin comme disait Béatrice, nous ramenions de petits tonneaux que j’envisageais de mettre en bouteille, mais les tonneaux étaient à disposition de tous, « Prenez une coupe de vin et gardez la poterie ! » C’était ça, Jean, un cœur énorme, pilier de toute la bande.

A l’époque, Béatrice s’était aventurée dans l’atelier pour acheter un cadeau pour sa mère et n’en est plus jamais reparti. Faut dire que Jean lui trouvait de si belles jambes. Et tant d’années après, son admiration pour Jean n’a pas changé, elle peut en parler pendant des heures dans sa belle maison de la place aux Oignons .

Tout ce petit monde d’artistes en devenir, de faux génies et de besogneux, vivait en bonne harmonie. Pour se faire de l’argent de poche, on décorait des vitrines de la rue de Béthune, ou on allait vendre nos dessins et peintures à ce sacré Léon, l’empereur pour les Wazemmois, brocanteur sur le marché le dimanche matin, ce brave homme encourageait les artistes de l’école, il n’achetait pas très cher, mais ça nous payait une saucisse-frites au restaurant de la Presse à coté de la Vieille Bourse et un bon demi, quelque fois même deux, toujours plus sympathique que l’U1, surtout quand on était Bizut, ou le resto de la catho à perpette de la Grand-Place

Les jours de fête, c’était l’omelette aux pommes de terre de madame Ronse juste à coté du Café des Arts, ou un petit calice entre les cours. Faut dire que l’on rigolait pas mal aux Beaux-Arts, même si le concierge essayait d’y mettre un peu de discipline ! C’était un ancien Wattman en retraite, le pauvre, je pense qu’il aurait voulu tous nous tuer si il avait pu, surtout le jeudi, jour des cours de modèle vivant ! Dans le grenier de l’école, on passait par le toit pour jeter des petits sachets de gouache en poudre sur les filles en uniforme de Sainte Claire qui se rendaient à la messe à la Treille. Anecdote sans grand intérêt artistique, mais un souvenir qui m’amuse encore aujourd’hui.

Mais quelle chance j’ai eu d’avoir 17 ans à l’époque, et d’avoir une chambre rue de la Monnaie au centre du monde !

 


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