Protégeons nos espèces en péril (un mot d’ordre qui ne manque ni de douceur ni de piquant, qui renvoie au rapprochement de textures et de touchers opposés, une sorte d’écolo oxymore) !
De décembre à avril, la ville reconduit une campagne de nourrissage : SOS squirrel en péril, dons en nature bienvenus. À quand une déduction fiscale ? La passion de Jean pour les écureuils est locale et inclusive. Le gaillard a vécu à la campagne, à Wassignies, dans l’Aisne très lointaine, aux antipodes du village vieux-lillois. Entouré d’animaux depuis ses tendres années, il a tenté d’élever des poules dans sa résidence rue Sainte-Catherine, ce qui lui valut quelques soucis et se lira dans une chronique automnale. Pour Jean, toutes les espèces méritent attention, aide et considération.
La passion de Emme est mondialiste et culturelle. Il a habité un mois le Village au coeur de Manhattan dans une brownstone, une maison vernaculaire, avec jardin. Chaque matin au petit déjeuner, il recevait la visite d’un écureuil gris (endémique dans la Grande Pomme), vite baptisé Speedy, qui venait piquer des biscottes, voleur assumé et fiérot, et dès la première rapine, visiteur adopté et désiré. Le calendrier aztèque en marquetterie qui orne le bureau de Emme comporte deux rongeurs inspirants.
Dans Casse-Noisette et ses amis, un cartoon de Tex Avery visionné en boucle, Screwball Squirrel met une peignée à un écureuil gnangnan de Disney et apostrophe le spectateur en roulant des mécaniques. L’écureuil à la grosse truffe de Tex venge les niaiseries de Walt.
Les mythologies nordiques voient dans le squirrel insaisissable un semeur de zizanie entre le ciel et la terre. La chrétienté a longtemps considéré l’animal comme une incarnation du diable.
Dans la famille sciuridée déjantée, Screwball compte un cousin : Scrat. Un monosyllabe, une onomatopée et un mot valise («squirrel» et «rat»)
judicieux évoquent le bruit des griffes sur l’écorce et désignent l’écureuil aux dents de sabre de L’Âge de glace. Le rongeur, compagnon déclencheur de catastrophes du trio Manny le mammouth, Sid le paresseux et Diego le tigre, dilapide toute son énergie à poursuivre un gland, (son gland ?). Dissociation du corps ?
Absurdité de la tâche ?
Monomanie d’un Sisyphe arboricole au pelage chaud et soyeux ?
Affirmation d’une masculinité dubitative ? Besoin de raccrocher les morceaux du corps épars selon le philosophe Gilles Deleuze, qui ne considérait pas l’individu comme un ensemble cohérent, gouvernable mais un agencement de machines autonomes en perpétuelle extension ? (Qué)quête de mec pour se prouver qu’il existe ? L’écureuil interpelle…
On a tous en nous (urbains, lourdingues, fragiles, scotchés au sol, les yeux tournés vers l’azur) quelque chose de Screwball et de Scrat, ce désir fou de s’éclater en liberté, de se rassurer sur notre identité, quelque chose en nous de folâtre, solidaire, cabotin, cinglé, vain et porteur de rêves. Quelque chose en nous des écureuils et de Jean !
Pour Lille Appel à dons :
à déposer à l’entrée des jardins partagés à la hauteur de la passerelle République, entre l’avenue Henri Delecaux à Lambersart et le bois de Boulogne, en longeant la Deûle côté écluse…Châtaignes, noisettes, noix non décortiquées, graines bienvenues. Marrons, glands, cacahuettes et breuvages alcoolisés proscrits.
Michel L’Oustalot
Contact : jean.jardin.citadelle@gmail.com