Chroniques du Vieux-Lille

Jean, l’homme qui murmure à l’oreille des écureuils

Un conte écolo des 4 saisons

Touche pas à mes noisettes, évangile bucolique apocryphe selon Saint Jean G. La polysémie de l’injonction saute illico aux yeux du lectorat agile et bondissant de LA GAZETTE qui établit le lien avec le titre de la chronique. Il s’agit, bien sûr, des fruits à coque dure, riches en protéines et fibres alimentaires récoltés à l’automne.

Verbe vif, barbe peignée, oeil malicieux, large sourire, visage buriné par le grand air de la Deûle, casquette cuir vintage : voilà Jean, pilier et coach des jardins partagés à la Citadelle. Tantôt lumineux, parfois ombrageux, le sexagénaire manifeste une puissance paisible à laquelle ne pas trop se fier. Son totem serait peut-être l’ours. Bien léché, mal léché, allez savoir, poser la question au plantigrade vous expose à un revers de griffe, un coup à vous arracher la tête, normal, cela relève de l’intime. Le chroniqueur, même irrévérencieux, doit prudence garder, son territoire baliser et celui des autres espèces respecter. Les écureuils, (angl : squirrel), Emme les chérit, les adore. C’est le sciuridé qu’il choisirait pour se réincarner, mais son agnosticisme ne lui laisse aucune chance. Dans une autre vie, jamais il ne grimpera de tronc en tronc, ne s’élancera de branche en branche, ne se balancera sur les rameaux faîtiers de la canopée sans un regard pour la ville. Il ne sera jamais le trapéziste ludique, goguenard, super actif et infatigable, qui passe du sol au ciel à la vitesse d’un orgasme, retombe souplement sur ses pattes et reprend sa besogne.
Il se déplace toujours en quête d’une rencontre ponctuelle qui, selon les 58 genres et les 285 espèces, se clôt dès la copulation consommée et l’aménagement de nids parfois squattés. Fin politique, réputé pour son sens de l’anticipation, de l’épargne et devenu un logo bancaire, il recherche les grosses cavités, les chaudrons de branche et il n’hésite pas à partager ces espaces et à se blottir avec d’autres congénères en prévision des nuits très froides lors des coupures de gaz et d’électricité. Il montre la voie de l’économie et du partage des calories. Sinon le squirrel se la jouerait plutôt solitaire sur un territoire à géométrie variable, extensible de par la recherche de partenaires et de nourriture. Il nage à la manière des chiens. Peu apte à lutter contre le courant, il utilise sa queue comme gouvernail, une affinité que Emme entretient avec l’animal.
Tant pis si quelques jaloux de son énergie inépuisable, de son magnifique appendice caudal appelé aussi plumeau, ne voient dans le rongeur roux qu’un sale rat sans morale, un scélérat qui capte outrancièrement, mais avec panache, l’affection des minots et des grands.
L’écureuil souffrirait ponctuellement d’amnésie. Il enfouit graines, glands et champignons, il les oublie et contribue ainsi à l’ensemencement des espaces forestiers, donc un bel hôte des bois fertilisateur qui participe à la biodiversité. Au chapitre de la mémoire aléatoire, le temps qui passe rapproche Emme du sciuridé.


Moult ennemis et dangers le guettent, parmi les plus féroces : les tiques. Elles se logent en masse dans les paupières, les rongent et aveuglent l’animal : ses très longues griffes lui interdisent de retirer cette vermine sous peine d’énucléation. Les mauvaises et mortelles rencontres abondent : rats, renards, fouines, corbeaux, une vie d’écureuil tient parfois d’une vie de chien.
Cependant le squirrel, même volant, n’a rien d’un ange : il s’empaille régulièrement avec les perruches dont il visite les nids, boulotte les œufs et les petits. À son menu figurent aussi vers de terre et insectes, le rongeur omnivore mange à tous les râteliers. Si le plaisir de la nourriture, comme celui de l’amour, tient dans le changement, l’écureuil se révèle un fieffé hédoniste.

Jean, bon vivant, infiniment disponible et aidant, connaît toutes les mangeoires astucieuses du bois de Boulogne et veille en toutes saisons sur les nichoirs fournis par la ville. Cinq couples des rongeurs acrobates se partagent le territoire.


L’écureuil roux de chez nous (lat : sciurus vulgaris, dénomination dévalorisante aux yeux de Emme) est un animal fragile, mais pas considéré comme une espèce invasive, contrairement à l’écureuil gris d’Asie, plus puissant, qui chasse ses confrères italiens et américains. Autre péril :
la voiture qui hécatombe le rongeur mi-terrestre mi-aérien et ses cousins au ras du sol les inoffensifs et si mignons hérissons en voie de disparition. Pour arrêter le carnage, la ville de Lambersart, la ville des arbres ou l’arbre en ville, a créé dans le quartier de la Cessoie un corridor biologique, un écuroduc. Des cordes d’escalade tendues entre les cimes au-dessus des routes et de la voie ferrée raccordent les zones boisées. À quand des tunnels pour les hérissons ?
Une jonction avec l’écuroduc lillois aménagé au dessus de la Deûle serait en cours d’élaboration, l’information peu aisée à collecter filtre dans une prudente discrétion. Un tel dispositif, au demeurant peu onéreux et populaire, permettrait à nos écureuils métropolitains d’aller voir ailleurs si la canopée est plus verte et d’obéir à la parole biblique : «Croissez, multipliez et remplissez la terre !» (Genèse 9.7). La plantation de noyers et de noisetiers les guidera d’un site à l’autre.

Écuroducs et tunnels, dans les airs ou sous terre, c’est ici le chemin ! Pour une intercommunalité des mammifères insectivores sans discrimination ! Tous ensemble, tous ensemble !

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