L’aventure du manuscrit qui se transforme en livre
En écoutant Dominique Brisson, éditrice (Editions Cours Toujours) parler de son métier, on imagine le joaillier tenant en main une petite pierre brute, l’observant sous toutes les facettes, la polissant et la façonnant avant de la déposer dans un bel écrin. Parce que la relation de Dominique avec un manuscrit est celle-là : la pierre brute c’est le manuscrit d’un auteur, le livre : c’est le bijou.
Nul ne s’improvise joaillier, nul ne s’improvise éditeur. Alors qu’est-ce qu’un éditeur ?
Comment un manuscrit déclenche-t-il chez Dominique, le désir de se lancer dans cette aventure ?
Une grande partie de mes livres sont des commandes. S’agissant des romans, quand je reçois un manuscrit, d’abord il doit être dans ma ligne éditoriale, ensuite le texte doit être contemporain, d’une belle qualité d’écriture. Mais un texte, c’est aussi un auteur et, surtout s’il s’agit d’un premier roman, il faut que je puisse savoir si l’auteur est, au-delà de la démarche éditoriale, d’accord pour appuyer le travail commercial de l’éditeur pour lancer le livre. Un éditeur n’est pas une boite aux lettres, un organisme qui fabrique un livre à partir de n’importe quel manuscrit. Moi j’ai besoin d’avoir un gros coup de cœur pour le texte avant de me lancer.
L’éditeur corrige-t-il un texte ? Quand un texte est apporté par un auteur et que l’éditeur considère qu’il a un beau potentiel, il s’agit alors de tirer un texte vers le haut avec des remarques, des suggestions, des propositions. Je suggère, je n’impose rien. Certains auteurs refusent la moindre modification. Pourtant, l’éditeur n’est ni un imprimeur, ni un libraire, il est d’abord un bon lecteur qui aide à porter un manuscrit vers d’autres lecteurs.
L’éditeur profite-t-il de l’auteur pour s’enrichir ? Pas dans la petite édition indépendante en tous cas ! L’auteur touche en moyenne 10% de droits sur la vente d’un livre, l’éditeur : 15 à 25% mais sur cette somme, il doit payer le correcteur, le maquettiste, ses frais de fonctionnement, etc… Tout dépend aussi du type de livre. Un bel objet nécessite des maquettes, des papiers et des coûts de fabrication et d’impression plus chers. Un éditeur doit donc être prudent, c’est lui qui prend les risques financiers, il n’a souvent pas d’autre choix que de refuser de nombreux manuscrits qui lui semblent avoir un faible potentiel de lecteurs.
Relation auteur, éditeur : Souvent les auteurs disent « j’ai écrit un livre », pourtant, à ce stade, il ne s’agit pas d’un livre, mais d’un manuscrit. Ce manuscrit est transformé en livre par un éditeur et son équipe … ou par l’auteur lui-même si autoédition, dans le but d’atteindre les lecteurs.
Un auteur doit pouvoir tirer de l’argent de son travail, comme tous les maillons de la chaîne du livre. A l’origine d’un projet de livre, l’auteur ne fabrique pas tout seul le livre : il y a plusieurs métiers qui se relaient, coordonnés par l’éditeur, pour faire de son texte un livre.
Les écueils de l’auto-édition et de l’édition à compte d’auteur. Le livre fait fantasmer… Il est porteur de rêves de succès et de reconnaissance, mais ce fantasme se heurte vite à l’immense difficulté de transformer le manuscrit en livre et de le porter auprès d’un lectorat. Comme il est difficile de trouver un éditeur, certains auteurs choisissent l’autoédition et se confrontent alors à de multiples contraintes techniques, financières et commerciales. Si l’autoédition les rebute, ils se dirigent vers des éditeurs aux conditions de publication qui n’ont rien à voir avec l’édition à compte d’éditeur, jusqu‘à leur obligatoire participation financière (y compris avec l’achat de livres). De plus ils n’auront aucun soutien commercial. Les plateformes d’autoédition ne prennent aucun risque financier, et l’auteur se retrouve souvent avec un livre impossible à vendre hors de sa sphère familiale et amicale et avec des dettes ! Il revient à l’aspirant-auteur de s’informer pour reconnaître ces sociétés d’autoédition qui cachent parfois bien leur jeu et sont en fait de l’édition à compte d’auteur ou compte participatif. Le principe est simple : un auteur ne doit pas payer pour être publié, il doit avoir un contrat et négocier avec son éditeur ses droits d’auteur (pourcentage sur les ventes et éventuel à-valoir).
Grâce à la confiance et la professionnalisation réciproques, une bonne relation auteur-éditeur se fait du travail éditorial à la phase commerciale, en passant par la mise au point du contrat, l’organisation des événements ou encore l’orchestration de la presse,.
Le bonheur de Dominique, éditrice : découvrir un beau manuscrit, démarrer le projet éditorial avec l’auteur, travailler à la fois sur le texte et sur la stratégie de lancement. Bonheur de faire connaître le livre et si le succès est à la clef, celui de le partager avec l’auteur qui reçoit alors les fruits de son talent.
Le bonheur de l’auteur : le moment où un éditeur lui fait part de son accord… puis celui de la découverte de son livre pour la première fois dans un carton, hésitant à l’ouvrir, attendant les réactions des premiers lecteurs !
« Un jour je serai écrivain » : c’est ce que nous souhaitons à tous les amoureux de l’écriture, en leur conseillant aussi d’être lucides sur l’aspect professionnel de la chaîne du livre qu’ils doivent connaître pour réussir, car avoir un statut qui protège, être édité et se faire connaître, c’est possible. Des organismes, comme le Centre National du Livre ou la Société des Gens De Lettres, sont là pour ça. Mais l’essentiel reste tout de même le talent d’écriture, un talent qui se ciselle comme la pierre du joaillier.
Elisabeth BOURGOIS