Émile Dubuisson s’attaque au chantier du beffroi
« Ces petites maisons noires semblaient absolument écrasées à côté de la bâtisse toute neuve et toute rouge, trouée de petites fenêtres noires, comme mortes. Je contournai une espèce de tour qui se voilait d’échafaudages et dont on ne saurait rien dire, sinon qu’elle est inachevée. Je rejoignis la rue Saint-Sauveur où une grande entrée était surmontée d’un drapeau rouge. En revenant vers mon logis je rêvais de cette grande maison à la tour inachevée. Elle m’apparaissait comme un monstre fascinant au mystérieux appétit. S’il n’avait pas été aussi vorace je ne devrais pas sauter péniblement par-dessus les flaques boueuses, ni glisser sur des pavés boiteux. »
La Croix du Nord, 4 janvier 1931
Pour terminer son projet, la ville de Lille ne peut plus compter que sur elle-même. Le chantier de l’hôtel de ville et de son beffroi est un poids pour les finances de la cité ce qui déclenche une avalanche de critiques et de sarcasmes des opposants à l’équipe municipale (cf. l’extrait de presse ci-dessus).
D’un autre côté, ce véritable exploit architectural va faire de l’hôtel de ville de Lille et de son beffroi un bâtiment connu du monde entier. Un journal économique du Caire écrit en 1931 : « Depuis peu de temps, la France possède un gratte-ciel et ce n’est pas à Paris qu’il a été construit, mais à Lille, dont il sera désormais l’hôtel de ville. Sa tour s’élèvera à une hauteur de 130 m et c’est, paraît-il, la plus grande tour en béton armé du monde. On se propose d’installer à son sommet un puissant phare tournant dont la lumière sera visible à une distance de 32 km. » Ce commentaire flatteur est un peu exagéré car, en réalité, le beffroi ne mesure que 105 m de hauteur mais, en 1932, c’est effectivement le plus haut bâtiment en béton armé de la planète. Le plan de rénovation de la ville conçu par Emile Dubuisson avance au rythme permis par les finances locales, c’est-à-dire trop lentement. Le centre-ville détruit est en grande partie reconstruit. On érige des grands magasins, des salles de spectacles et des hôtels de prestige. Des équipements publics comme le palais de la foire commerciale ou le central de téléphone automatique voient le jour. Mais les travaux de modernisation des infrastructures comme l’installation du tout-à-l’égout dans le quartier Saint-Sauveur – qui abrite la nouvelle mairie – ne seront jamais entrepris. Les projets urbains de l’architecte Émile Dubuisson sont loin d’être menés à leur terme lorsque les troupes d’Adolf Hitler déferlent à travers la Belgique et prennent possession de Lille, le 1er juin 1940.
Alain Cadet