Alain Cadet raconte….

« Lille a payé comme tribut au carnage mondial un chiffre dépassant les 6000 morts. Ils nous disent : « Prenez garde ! Faites que notre sacrifice ne soit pas perdu ! »

Le Grand Hebdomadaire Illustré de la région du Nord de la France, mai 1927.

L’armistice donne le signal d’une ère faste pour les sculpteurs et les marbriers. On invente le « monument aux morts ». Des milliers de morts, civils et militaires appellent un lieu symbolique qui rende hommage aux disparus, permette aux survivants de communier autour de leur mémoire et perpétue pour les siècles le souvenir de cette époque barbare de sacrifices et de douleurs. À Lille, la réflexion sur ces symboles commémoratifs est forcément particulière.  Pour les Lillois, enfermés à l’intérieur de leur ville comme dans une prison, ces quatre années de l’Occupation furent vécues comme une période d’impuissance… voire de honte. L’occupant a tout fait pour étouffer dans la ville,  les valeurs républicaines et le sentiment d’appartenance à la nation.

Lille voudrait oublier cette période épouvantable : la faim, le froid, les réquisitions, les amendes, les épidémies, le travail forcé, les déportations, les otages, et même, parfois, les exécutions. La ville est à la recherche d’une nouvelle identité rappelant à la fois ses souffrances et sa fierté d’avoir vu l’envahisseur vaincu. Gustave Delory, déporté en Allemagne, et qui vient de récupérer son fauteuil de maire, décide d’un ambitieux programme de quatre monuments à la mémoire des victimes de la guerre et des héros lillois auxquels s’ajouteront la statue du jeune résistant, Léon Trulin, en 1934 et, en 1936, celui, unique en France, qui honore la mémoire des 20 000 pigeons voyageurs, morts malgré eux pour la patrie, pendant la grande guerre.

Le monument principal est érigé sur la place Rihour dégagée par le dramatique incendie de l’Hôtel de ville de 1916. Dédié aux militaires disparus mais surtout aux otages, la Ville de Lille choisit une inscription qui a pu paraître curieuse à l’époque mais qui nous semble aujourd’hui incroyablement moderne : « Aux Lillois, soldats et civils (….) morts pour la Paix ». Le monument sera inauguré le 22 mai 1927 par Roger Salangro qui a succédé à Gustave Delory en 1925. Le programme principal de ces monuments sera rondement mené par le nouveau maire. Le 13 novembre 1927 on inaugure le monument dédié à Louise de Bettignies, morte en captivité en 1918, et dont le réseau de résistance renseignait les Anglais. Puis, le 31 mars 1929, le monument des fusillés dédié à Eugène Jacquet et aux membres de son réseau Ernest Deceunynck, Georges Maertens et Silvère Verhulst – est établi au bord de l’Esplanade. Enfin, le seul monument dédié uniquement aux civils, celui des Dix-huit Ponts, en souvenir de l’explosion du bastion qui fit plus de 130 morts, dont la plupart étaient des habitants du quartier Moulins, est inauguré le 13 octobre 1929.

Aujourd’hui, les événements mémoriels ont lieu presque exclusivement devant le monument de la place Rihour mais, en janvier 2016, pour commémorer le centenaire de la tragique explosion, une cérémonie émouvante présidée par Martine Aubry, maire de Lille, s’est déroulée face au monument du quartier Moulins.

Pour aller plus loin : Lille occupée, 1914 – 1918, Alain Cadet, Éditions Lumières de Lille, novembre 2018.

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