Les sportifs apprécient un terrain de sport performant : longs étirements sur les rampes et les garde-corps, marches escaladées sur une jambe puis sur l’autre, deux fois, trois fois en ahanant inlassablement. Sportif rime avec effort répétitif voire compulsif.
Pour les ados voilà un lieu de frime branché : ils se « selfiesent » ou se photographient à plusieurs, juchés sur les sphinges. Le tablier accueille aussi les jeunes mariés venus fixer un moment solennel, sur ce dispositif passage d’un état à un autre, échange de serments durables et de baisers passagers, ou l’inverse. Quant à la généreuse poitrine des sphinges, elle capte plus d’un regard et certains promeneurs aux mains baladeuses y voient un prolongement des mains courantes.
Pour Emme, le pont s’avère un observatoire privilégié d’où l’on embrasse l’église Sainte-Catherine, le Champ de Mars, la contre-garde du roi et les glacis reconstruits entre les parkings et la Citadelle. Et surtout d’où l’on peut admirer les envols et les atterrissages des oiseaux : colverts au vol court et pataud, grèbes cendrés et hérons graciles aux longs envols et aux atterrissages en ralenti sur fond de coucher de soleil. La nuit, le Napoléon brille de tous ses leds encastrés dans la toiture, le tablier, les poteaux et autour des vasques. Avec ses éclairages qui piquètent la Deûle, la passerelle rebelle est encore plus belle. Le Napoléon est aussi un lieu de gravité. Un groupe endeuillé lance longuement et symboliquement bouquets et pétales de fleurs blanches dans le canal, l’espace public interdit d’y déverser des cendres. Le pont : un passage entre la vie et la mort. L’une des attractions de cette passerelle unique réside bien entendu dans les sphinges postées par deux sur leurs socles de pierre bleue à chaque entrée. Elles remplacent avantageusement les sphinges originelles disparues mystérieusement dans les années 1975 et dont Emme avait abandonné la recherche. Il préfère s’adonner au souvenir de la guinguette A Ma Campagne, qui bordait jadis le pont côté Champ de Mars, à la rêverie et au retour des fêtes. Il fredonne une chanson d’Alain Barriére…
Si l’on pouvait retrouver les guinguettes,Dimanche au bord de l’eau,Bon sang qu’c’est chouette,Tu serais ma Juliette, Je s’rai ton Roméo.
LILLE, la ville lacustre aime l’eau, l’amour et la musique.