Claudine Valmont : prix littéraire Alexandre Desrousseaux 2017

C’est un petit homme au teint bis, à la chevelure grisonnante et abondante. Il est toujours vêtu de la même façon: un jean trop large, un pull trop serré, et aux pieds, des babouches usées d’avoir tant foulé le sol de son café qu’il me semble ne jamais quitter. De temps en temps, je passe boire un thé et nous discutons un peu. Il fait corps avec son bar, corps avec ce morceau de rue qui l’habite. Il parle à tout le monde mais ne s’éloigne jamais de son établissement. Louise adore son thé à la menthe mais une présence féminine étant mal acceptée en ce lieu, Ali se précipite dès qu’il l’ aperçoit, un verre de thé bien chaud à la main. Elle rentre vite le savourer chez elle.

Je m’appelle Ali. J’habite rue Saint André, derrière le bar que je loue depuis prés de trente années. Avant le quartier était très différent. Toute ma famille marocaine y vivait.

Mais ils ont réhabilité le quartier, comme ils disent. Les logements ont été refaits, modernisés, les loyers sont devenus trop chers. Moi, j’ai réussi à rester. Ailleurs je serais mort.

Didier mon voisin, un grand brun moustachu et sympathique est restaurateur. Régulièrement Louise, la petite dame âgée qui habite au-dessus du restaurant passe devant mon café.

Je la connais depuis toujours, Louise. Elle adore mon thé à la menthe et quand je la vois, je lui en apporte un verre qu’elle monte vite boire chez elle.

Je suis le Père François. J’appartiens à la communauté des Frères Maristes. Nous occupons une grande bâtisse rue Saint-André. Cette maison, cette rue, sont notre port d’attache en France.

Notre activité principale se trouve en Afrique où nous partons en mission chacun notre tour. Pour moi, l’Afrique, c’est terminé, je suis devenu trop vieux.

En face, il y a un restaurateur spécialisé dans le poisson. Sa carte est une palette de saveurs. Le patron est jovial et plein d’humour. Un samedi soir où nous n’y étions attardés, nous avons rencontré Louise, un charmante vieille dame qui vit au-dessus du restaurant. Elle savourait les yeux mi-clos une belle assiette de saumon merveilleusement décorée. A notre droite, dans une magnifique maison entièrement rénovée s’est installée une famille avec quatre enfants.

L’un d’entre eux se prénomme Léo. Rouquin, espiègle, curieux, il discuterait volontiers mais je dois reconnaître que nous, les enfants, ça nous effraie un peu…

A coté du restaurateur il y a Ali, et son bar, «Le Petit Tonneau». Nous nous saluons toujours poliment. Il est pacifiste, Ali !

Je suis Léo. J’ai vingt-deux-ans. Je suis arrivé rue Saint-André à l’âge de huit ans. En face de chez nous, c’était Didier, le restaurateur. Au dessus de son établissement habitait une vieille dame, Louise. Elle vivait ici depuis très longtemps.

Elle me parlait souvent et me racontait que notre rue, c’est un petit paradis.

A l’époque, j’étais content d’avoir quitté Maubeuge pour habiter au paradis, rue Saint André…

Aujourd’hui rien n’est plus pareil ! Louise est partie, emmenant avec elle son sourire, ses petits pas, ses histoires et un peu de notre patrimoine… Didier a cédé son restaurant, Ali laisse refroidir son thé, le Père François a été hospitalisé, et moi Léo je regrette de ne pas avoir pris de notes sur l’histoire du quartier, mais Louise continuera à vivre dans mes souvenirs, au milieu de cette rue qu’elle a tant aimée.

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