Chronique du Vieux-Lille

Il ébauche d’abord la large façade de style baroque. Il ajoute le toit recouvrant les chapelles principales et le vaste espace en rotonde surmontée de la coupole néo-classique. Il marque alors une courte pause, esquisse une énigmatique grimace et étale sur les ouvertures de l’édifice une couleur indéfinissable, fortement diluée, un mélange magique de son invention. Sur le parvis, les pigments absorbent l’amoncellement qui reflue, les fenêtres se vident peu à peu, les seaux, les casseroles, les bouilloires se font la malle. L’aquarelle absorbe le bric-à-brac culinaire, engloutit le monstre, les camions bennes s’enfuient aux horizons. Miracle de la représentation qui ne reproduit pas le réel mais le rectifie, le restaure  et le sauve. Les croyants bien imbibés des bistrots voisins rendent grâce qui à Jésus, qui à Allah, qui à Dionysos. Les athées restent de marbre.

Chapeau les artistes !

s’exclament les spectateurs, revenus des chapelles adjacentes à la rotonde et de leur effroi. Ils réinvestissent le lit et applaudissent, les riverains les imitent. L’archevêque, accouru à la hâte depuis le 68 de la rue Royale, baise les mains maculées du peintre : « Laudamus te, pintore salvatore ! Notre bonne ville de Lille-la-Résiliente, saura te marquer sa reconnaissance et fêter la délivrance de la Sainte-Madeleine. Elle le fit moultes fois depuis les Hurlus, les Autrichiens et les nombreuses avanies de l’Histoire. Glorial tibi in saecula saeculorum !»

Emme referme les yeux. Les mamies, de retour, lui sourient, le cajolent, le soulèvent, l’interpellent : « Hé, le doux rêveur aquatique, n’aie plus peur ! Viens te joindre à nous ! ». Emme se sent pousser des ailes, aspiré vers le plafond : « Ohé les mamies, j’arrive. Pour apprivoiser le temps, pour fixer la mémoire, tous ensemble, tous ensemble ! Continuons le visionnement ! »

En bas, sur le parvis reconquis, Henri délaisse insensiblement la bossa nostalgique pour des attaques plus jazz free et joue les premières mesures du P’tit Quinquin. Pat exulte et retrouve son bleu regard rieur. De sa voix musicale, l’intrépide aquarelliste déclare, hilare :

« Dans la ville lacustre, aquarelle, aquarêve, aqualude, aquavit… le dernier mot reviendra toujours à l’art et à l’eau. » Emme vit intensément LILLE entre rêve et réalité.

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