Ça y est, le DJ convulse, les bras flottent, les corps s’enlacent, les yeux se ferment les jambes s’oublient les spots hypnotisent les regards se croisent le son explose et les êtres s’envolent.
Y a ce mec devant moi. J’l’ai pas grillé direct, rapport aux lunettes à montures noires que j’lui connaissais pas, mais y a pas de doute, c’est Isham One qui hoche la tête sereinement. J’connais le gars, qu’est rien d’autre qu’un génie. C’est pas juste que quand j’dessine une table ça ressemble à un chien, mais donne lui un fusain, une bombe, ou un ordi et il te redessine le monde aussi facilement que tu clignes des yeux. Du graff aux illustrations, des pochettes d’albums à la peinture numérique en passant par la photo, pluridisciplinaire, touche-à-tout, appelle ça comme tu veux. La musique lui parle, lui rappelle le temps du Shaman, quand il chopait le mic pour kicker sur de la jungle.
Depuis, il a fait du chemin, son univers est un monde sans frontières. Sa danse à lui, c’est le tango parfait que pratiquent son cerveau et ses mains, il peut pas s’en empêcher, s’il s’y frotte il te pond un truc qui te laissera toujours bouche bée. J’touche l’épaule, il se retourne, me remet, check. On essaye de se parler, malgré le son qui fracasse l’air. J’le questionne. Il vient de bosser avec Adrian Younge, son expo quitte la MFW pour Mons puis Reims, il signe le design de Keakr, l’appli d’Axiom, et tout un tas d’autres projets. Faut dire que sa réputation n’est plus à faire, on vient vers lui spontanément. Reconnaissance.
Tu m’étonnes. Il se tient à l’écart du marché de l’art, pas son truc, ne rentre dans aucun tiroir, et puis le « street art a étouffé l’art de rue, fait parfois perdre le charme de l’éphémère, participe à l’uniformisation globale, on en trouve partout et on tombe parfois dans le kitch en essayant de plaire au plus grand nombre », qu’il me dit.
Ouais, le talent c’est comme le goût, pas donné à tout le monde. Lui, il s’arrête jamais d’être bon. Le talent est vraiment le meilleur pote des insomnies, et si après une heure sur place j’ai envie d’aller me pieuter, c’est peut-être que j’en manque cruellement.