A l’occasion de leur prochain concert au Main Square festival d’Arras le 1er juillet, la Gazette est allée à la rencontre Franck Vandecasteele, chanteur de cette joyeuse bande d’iconoclastes.
Salut Franck, bienvenue à La Gazette de Lille ! Je rappelle que t’es le chanteur de Marcel & Son Orchestre ? Inutile OK. Alors, on est de retour sur les routes, et à la maison ?
Ouais il paraît, un petit peu, même si on a été en casernement pendant un certain temps, parce qu’on est revenu en décembre 2017, où on a recommencé à jouer un peu, puis on a fait un Olympia en février 2020, et ensuite : enfermement général ! Donc là on joue des dates qu’on aurait dû jouer y a deux ans, pour certaines, et aussi avec des propositions et des projets stimulants à côté.
Le groupe s’arrête. Il reprend. Y a la pandémie qui arrive. Est-ce qu’un moment on ne se dit pas que c’est un signe et qu’il faut peut-être arrêter pour de bon, ou est-ce qu’à l’inverse ça donne encore plus la niaque de se dire « allez on y retourne » ?
(rires) Effectivement, le fait d’être enfermé fait qu’au bout d’un moment t’as un peu des fourmis dans les jambes, t’as envie de retrouver la convivialité, la fête, dont on s’est tous sentis privés, quoi. Ouais y a une appréhension à remonter sur scène, on a fait un truc pour le Main Square en juillet dernier, à Bollaert, et ça faisait 6 mois qu’on n’avait pas fait de scène, et y avait une vraie appréhension, mais j’aime bien avoir peur !
Participer au rayonnement du Main Square, ça veut dire quoi pour Marcel & Son Orchestre ?
Disons que comme on vient de l’alterno, on s’est posé beaucoup de questions sur les festivals un peu mainstream. Effectivement au départ on avait plutôt tendance à bouder ça, en se disant attention ils vont tout confisquer, en se disant qu’il y aurait probablement une vingtaine de festivals en France qui auraient la même affiche et qui rafleraient tout et que ça sonnerait le glas des productions indépendantes etc. C’est compliqué aujourd’hui cette histoire d’alternative et de contre-culture. On discutait de ce genre de choses quand on était tout minot et qu’on faisait la première partie de la Mano Negra, t’imagines. Et Manu Chao disait que s’il avait pris ce « grand micro », à savoir que s’il avait signé chez une Major, parce qu’il y avait plus d’audience, et que si son message était bon il n’allait après tout pas faire un procès à des tuyaux. C’est une réflexion. Moi, j’ai pensé aussi que 3 min de Marcel & Son Orchestre, ou de Zebda, à la télévision, c’était 3 min d’Hélène Ségara en moins.
Il faut savoir se méfier des apparences ?
Oui je pense. Vraiment. Encore que, dans le Nord, et peut-être grâce à la proximité avec la Belgique, et à une culture de carnaval, je crois qu’on sait ce que veut dire être multiple. Les gens qui me font peur sont ceux qui essayent d’être en adéquation avec la belle petite image d’eux-même qu’ils se sont tricoté, qui essayent d’être toujours assez monolithiques. Je pense qu’on est multiple, et c’est bien. Un soir tu peut-être complètement arsouille, un soir tu peux être relou, et c’est pas pour autant que t’es pas féru de littérature ou d’autre chose.
À propos de carnaval, qu’expriment et que cachent l’exubérance et les déguisements ?
Je ne sais pas ce que ça cache. Je suis triste de voir qu’une bonne partie de la scène, aujourd’hui, à moins d’audace vestimentaire que les agents d’assurances. Ce que j’ai trouvé marrant, moi, dans le rock’n’roll ou dans la scène, ça a été l’exubérance, donc ça ne cachait pas quelque chose, c’est l’audace, l’exubérance. Quand tu voyais arriver Roxy Music, Elton John, ou Bowie, toute la scène glam rock, y avait quelque chose qui te faisait dire « ça peut pas exister ! ». On créait des personnages, on créait des icônes, aujourd’hui je ne vois pas d’icônes, dans le milieu, mais des gens qui sont des ambassadeurs de fringues, et tu te dis qu’ils sont juste les serviteurs d’un système.
Le carnaval c’est aussi la fête. Le combat passe par la fête ? Tu me parles du « Danse, Déconne, Dénonce » ?
Quand tu fais une soirée avec des potes, c’est toujours une affaire de dosage. Si tu les fais une soirée, et que tu leur tartines 4 heures de discours politique, un moment ça fait chier. De la même façon, si tu restes dans la gaudriole tout le temps, t’as juste envie de dire que t’es dans l’évitement. Et tu ne peux pas être dans le sensible tout le temps, parce qu’un moment il faut savoir afficher de la légèreté. Ce dosage est important. Et la lutte passe d’autant mieux quand tu sais l’envelopper, et dire que c’est pas nécessairement chiant. D’abord, c’est salutaire, et on peut avoir la tête dans les étoiles et les pieds sur terre.
Y a un devoir d’engagement quand on est artiste ?
Chacun fait comme il veut. Y a rien à imposer à personne. Moi je sais pas faire autrement. Je sais pas composer. Je sais d’où je viens. Je dois mon salut au mouvement d’éducation populaire, parce que j’ai grandi dans un quartier populaire, et heureusement qu’à l’époque il y a eu la MJC, ou des choses comme ça, qui nous ont conscientisés. Je considère que c’est d’avantage la chanson française qui m’a conscientisé que le rock’n’roll, l’exubérance, se rouler à terre, je savais faire, et y a un espace qui m’a permis de continuer à le faire et de m’en amuser, mais c’est la chanson qui m’a appris à dire je t’aime, qui a mis des mots sur mes douleurs et sur les combats.
Militer, c’est rester en petit comité, ou c’est aussi ne pas se refuser de tribune, quitte à ce que celle-ci apparaisse comme commerciale aux yeux de certains ?
J’ai répondu en partie là-dessus tout à l’heure. Alors y a toujours les purs et durs qui vont considérer que c’est se trahir, se corrompre. À l’époque des Berurier Noir, y a plein de groupes qui considéraient que passer à la télé était une trahison. Mais un moment, tu te dis « vous savez, un combat contre le racisme, contre le Front National, ou le Rassemblement National maintenant, si on le fait dans un squat devant des convaincus, on ne s’adresse finalement qu’aux convaincus ». si on accepte d’aller chez Drucker, on peut faire entendre son message à 5 millions de personnes.
Ouais, parce qu’eux, Front National et consort, ne se sont jamais privés de ces tribunes, et depuis très longtemps
Absolument.
Et on voit où ça en est
Et on voit où ça en est. Quand j’étais minot j’ai vu Trust à la télé, et je me suis dit « mais qu’est-ce que c’est que ce truc ! ». Quand tu vois Les Garçons Bouchers à la télé tu dis « donc il existe autre chose ! ». Quand tu viens d’un milieu populaire, où t’as pas accès à ces artistes indépendants, ou alors parce que t’as pas un grand frère, ou des éclaireurs autour de toi, et que tu viens de ces quartiers où malheureusement les gamins sont plus des consommateurs, y a pas de vraie réflexion sur le « est-ce qu’il existe autre chose ? ». Et donc, quand, par une petite fenêtre qui s’appelle la télévision, tu vois qu’il existe autre chose, tu te dis que ça mérite d’aller creuser, et tu passes de Johnny Halliday aux Garçons Bouchers, et ça te renverse la tête.
Est-ce que tu penses que, dans un monde qui devient de plus en plus formaté, l’irrévérence devient une urgence ?
Ça dépend comment on la vend ! Y a l’irrévérence de façade…Je pense qu’il ne faut se priver d’aucune audace. Et puis, on nous vend de l’inéluctable, on nous vend de la résignation, à longueur de semaine. « il n’y a pas d’autre choix possible », on nous martèle ça sans arrêt, au point que beaucoup se disent qu’effectivement il n’y a pas de solutions, et c’est pourquoi ils jettent les armes. Mais un moment, tu te dis que nous vendre ça est une stratégie, pour nous dire « n’essayez pas de vous battre contre moi, parce que c’est peine perdue ». Mais l’histoire a montré à de multiples reprises que des choses perdues d’avance ont finalement gagné. Si en 1848 on t’avait dit que t’aurais 5 semaines de congés payés t’aurais éclaté de rire ! Si on t’avais dit que t’aurais la sécurité sociale, la retraite, t’aurais ri. C’est parce qu’on arrête de lutter qu’un moment les adversaires regagnent du terrain.
Pour parler de combat perdu d’avance, et pour rester sur l’urgence, beaucoup s’accordent à dire que l’écologie est la priorité absolue. Pourtant, la plupart de ceux qui le pensent, ou le disent, ne l’expriment pas par le vote, sinon ça se saurait. Sur qui on va devoir compter pour sauver la planète, si ce n’est pas sur les partis écolos ?
Tu veux que j’annonce quoi ? Que j’ai un engagement partisan ? (rires). Je peux le dire, ç ne me gêne pas du tout. J’ai un engagement partisan de longue date.
Ce qui m’intéresse, c’est ton engagement personnel. Comment on va se sortir de cette merde, sachant que toi et moi n’avons pas beaucoup d’impact sur ce qui peut, ou ce qui va, arriver. On trie juste nos déchets, on fait gaffe à la consommation d’essence…
Je pense qu’on a bien plus d’impact que ce qu’on nous laisse entendre. Consommer est un acte politique. Et aucun pays, aucun dirigeant, aucune entreprise, ne se privera d’un marché de 60 millions de consommateurs. Personne. Quand tu commences à fabriquer des générations de consommateurs vigilants, tu changes la donne. Et ça change, à pas mal de niveaux. À tel point que l’hypocrisie de la publicité est absolument géniale ! (rires) Aujourd’hui, t’as une quantité d’industriels qui finissent par dire « vous savez, avant on mettait des merdes dans nos produits, mais on vous a écouté ! Maintenant on en mets moins ! » (rires), et ils font de la pub pour t’annoncer ça (rires), ça mérite des tartes quand même (rires). « Avant on mettait du parabène, maintenant on n’en mets plus hein ! »
« Avant on mettait de l’huile de palme »
Ouais (rires), « on mettait des graisses hydrogénées, mais maintenant on fait gaffe ! On n’en mets plus ! » « on n’est moins bâtards quoi » (rires). Sans déconner…Mais ça signifie quand même que les choses changent un petit peu. Alors évidemment maintenant il y a une foutue urgence. Je rencontre plein plein de jeunes qui ont conscience des enjeux, et peut-être qu’effectivement, si les dirigeants n’entendent pas, ça se fera dans la violence. Mais ça se fera.
Le principal coupable, c’est le libéralisme ?
J’en suis intimement convaincu. Le problème du libéralisme est que c’est un système un peu sans foi ni loi, où « si ça rapporte, peu importe », avec une seule obligation des états vis-à-vis de ce système libéral, qui est de garantir la sécurité des biens, parce qu’on veut pas les perdre, et des personnes. Pour le reste, il s’en foutent. On voit comment ils réussissent à faire que le savoir devient une marchandise, que la santé devient une marchandise, etc, c’est absolument abjecte. Et on l’a vu pendant la pandémie, vous avez voulu que la santé soit une marchandise, regardez dans quelle merde on est. Maintenant on s’aperçoit qu’il va falloir relocaliser, réindustrialiser, parce que mêmes les états de l’union européenne sont capables de se tirer dans les pattes pour récupérer des masques. Hallucinant.
On a pris une direction sans retour ?
Je crois pas. C’est en train de bouger. On a voulu nous imposer une forme de bipartisme à l’échelle mondiale, un peu comme aux États-Unis