Cet artiste lillois a vécu 40 ans dans une cabane sans eau ni électricité
dans les anciens jardins de la Poterne. Que devient son œuvre, 30 ans après sa mort ?
Jean Smilowski est né à Lille le 19 février 1927, de parents immigrés polonais. En 1943, ne pouvant payer son loyer, sa famille est expulsée de son logement rue Saint André. Son père construit une cabane en bois au pied des fortifications, derrière les Abattoirs, au lieu-dit La Poterne.
Quelques mois plus tard, Jean est emmené en Allemagne. À son retour en 1945, sa sœur est mariée, il vit seul avec ses parents.
Il travaille comme manœuvre à l’usine Fives-Lille-Cail. Sur le trajet, qu’il fait à vélo, il est renversé par un camion en 1960. Il a 33 ans. Jean perçoit une faible pension d’invalidité. Il redécouvre la peinture et la fabrication d’objets peints. « Mon père qui travaillait beaucoup mais buvait, est entré à l’hospice en 1968. Ma mère est morte en 1972. En 1977, j’ai construit la nouvelle baraque sur l’emplacement de l’ancienne. C’est « mon ranch » ! J’ai gardé la chambre, car c’était du solide, mais j’ai refait tout le reste : la cuisine, l’atelier, le garage à vélo, la réserve à bois et à charbon. », disait-il.
De la cabane au HLM…
À partir de 1980, la Ville de Lille entreprend de supprimer les jardins sauvages pour créer des jardins familiaux au carré et une pelouse. Le bulldozer s’arrête au bord de l’enclos de Smilowski. Le service des espaces verts lui demande de partir. Il ne sait où aller, mais se met à emballer ses « bricoles » dans des valises en bois qu’il fabrique et peint sur toutes les faces.
Cette tension dure jusqu’en 1984 où Jean rencontre l’Atelier Populaire d’Urbanisme du Vieux-Lille qui l’aide à obtenir un relogement adapté dans un rez-de-chaussée, en HBM derrière l’ancien commissariat central.
La cabane est démolie en 1985. La fresque peinte sur un des murs est sauvée, achetée par la mairie de quartier. Bernard Lecomte réalise pour FR3 un reportage sur le déménagement de Smilowski (visible sur le site Archives INA).
Cycliste dès que sa santé le lui permet, vêtu d’anciens uniformes militaires, rarement en compagnie, Jean Smilowski dérange un peu en société, par sa seule présence de « décalé ». Avec les militants de l’APU, il déjeune une fois par semaine chez les Petits Frères des Pauvres, vient à certaines actions, dessine pour le Canard du Vieux-Lille. Il participe à l’exposition Folies-Folies à l’Hospice Comtesse, où il vend lui-même quelques-unes de ses œuvres aux visiteurs.
Après son relogement, Jean, qui continue à peindre et à dessiner, connaît deux hospitalisations. Malade, il est emmené en pèlerinage à Lourdes, il est baigné en eau froide et contracte une pneumonie. De santé fragile, il meurt quelques temps après son retour à Lille, le 18 décembre 1989. Son œuvre sera sauvegardée.
Les peintures de Smilowski, aux couleurs vives, sont peuplées de héros et héroïnes légendaires : Ramona, la Vierge Noire de Czestochowa, Sainte Rita, Sainte Thérèse, et même les déesses de l’Inde… Sitting Bull, John Wayne, Clark Gable, Charlie Chaplin, Laurel et Hardy, Zorro, Tarzan, les cavaliers du Bengale et les soldats de toutes les armées,…
Ses sources d’inspiration sont les collections d’images, de timbres, les affiches de cinéma, les livres, les bibelots… Son monde mêle sa propre histoire aux mythes éternels : l’amour, la guerre, les religions. Il est fasciné par les grands hommes (de Gaulle, Churchill, Mao, le Christ, Napoléon…), les armées, le cinéma américain, les héros de bandes dessinées, les Indiens, la femme inaccessible…