C’est là qu’il a parlé. C’est là qu’on a su. Alors c’est là qu’on a bougé. Jamais trop tard. Toujours possible.
J’allume ma blonde et j’brave les rafales pour pas perdre de vue mon fils et le gamin. Aujourd’hui le gosse porte une chasuble rouge à l’entraînement. Il vient de marquer. Une frappe venue des tripes, libératrice. Il sourit. Ses coéquipiers se jettent sur lui, les bras et les cris qui l’entourent le protègent du vent. Ce souffle qui balaye le terrain me glace la pointe du nez, mais pour lui il n’est rien. Rien à côté des tourbillons de sable du Sahara. Rien à côté du sifflement autour du bateau sur la Méditerranée. Ouais, ce souffle n’est qu’une caresse, alors que les caresses ne sont qu’un souvenir lointain qui se perd dans la forêt guinéenne.
Le môme n’avait rien dit. Digne. Il se tapait à pied les 10 bornes pour aller de l’Ibis réquisitionné au club, chaque fois, sans moufter, avant d’attaquer l’entraînement. Puis Noël est passé. Fini l’Ibis. Tout le monde dehors. Et le cauchemar a continué.
Durant les vacances, chacun avait ouvert ses nombreux cadeaux et avalé des tonnes de bouffe, en avait jeté la moitié dans la poubelle en souriant alors qu’Ibrahima dormait dehors et ne mangeait plus sans que personne ne le sache. L’arnaque. Celle qui hantait ses nuits glacées et lui soufflait à l’oreille que quitter ce monde serait plus apaisant. Celle qui se révélait sur ce mur qu’on lui avait caché et qui paraissait infranchissable.
Puis y a eu la reprise. Entraînement. Et l’ado qui revient, la peau sur les os, les yeux cernés mais déterminés. Taper la balle. Se libérer. Encore. Mais moins fort. Et c’est là qu’on a compris. C’est là qu’il a parlé. C’est là qu’on a su. Alors c’est là qu’on a bougé. Jamais trop tard. Toujours possible. C’était pas une affaire d’asso, de département, ou d’État. C’était affaire de survie et de dignité. Le prendre sous notre aile, tous ensemble, et permettre à ce regard vide de briller à nouveau. Dormir au chaud. Se nourrir. Rien de bien sorcier pour commencer. Accessible à tous en vérité, à condition de s’arracher les œillères.