Gens du Nord : Jenny Clève

Adorable Jenny

Je connaissais Jenny Clève, l’artiste de cinéma et de télévision. Ma mère est l’une de ses fan, elle la trouve « toujours correcte, bien coiffée et un bon exemple de femmes du nord ».

Pour moi, Jenny, parce que je suis gourmand, c’était aussi la compagne de Pierrot du samedi après midi à la télévision.

Je bavais devant ‘‘Goûtez moi ça’’, un carnet de notes à la main et le magnétoscope qui tournait pour ne rien rater des recettes.

Pierrot, ce monument épicurien, maître-queux des monts des Flandres. Poète de nos traditions culinaires.

Un jour, à table avec lui, le nez au dessus d’une terrine de tripailles fumantes,  je lui demande : j’aimerais bien rencontrer Jenny pour la mettre à notre panthéon des gens de chez nous.

Il m’a regardé, il a avalé un beau morceau de tripes,  épongé sa soif d’une lichée de vin blanc et de sa voix rauque, il m’a dit en s’essuyant avec son tablier : « le Jeudi, je prends l’apéritif chez mon amie Jenny, viens avec moi ! »

Le jour dit, j’étais garé devant la porte de notre actrice, onze heures moins cinq, coup de téléphone de Pierrot : « écoute, j’ai un empêchement, je l’ai appelé, elle t’attend ». 

Et Jenny ouvrit la porte,

– Vous êtes venu jusqu’ici, je ne vais pas vous laisser sur le trottoir, me dit-elle avec un joli petit sourire.

Quelle gentillesse, de me recevoir tout simplement, dans votre belle et grande maison débordant de souvenirs de votre longue carrière.

Vous, négligemment appuyée sur le dossier d’un canapé or, dans un salon inondé de lumière, comme les divas du grand siècle.

Moi, en équilibre sur le rebord d’un petit fauteuil , intimidé de vous voir, en vrai devant moi.

Jenny, racontez-vous, tout simplement. 

«  Je suis née à Roubaix en 1930,  je n’ai plus l’âge de jouer les jeunes premières, peu importe. J’étais une enfant comme les autres, insouciante, espiègle.

J’ai été une épouse heureuse, une mère de famille comblée et une grand- mère choyée.

Une actrice qui n’ a connu que du plaisir en jouant, j’ai fait des rencontres merveilleuses, le plus beau métier du monde. J’ai un peu honte de vous dire tout ça, quand on voit toutes les horreurs qui se passent autour de nous.Quand la guerre est arrivée, j’avais neuf ans. Pour nous protéger, mon père nous a envoyés chez un de ses cousins au cœur des vignobles de Touraine. On y mangeait bien, l’horreur était loin, le vin était bon (enfin c’est ce qu’on me disait), la campagne était belle et j’étais jeune.

Nous rentrons à Roubaix l’année de mes quinze ans, l’école ne m’a jamais vraiment intéressée mais il y avait le conservatoire pour m’épanouir. Je découvre  le monde du théâtre,  les beaux textes, l’amour avec Claude Talpaert qui est devenu mon mari, et la vie d’artiste.

Tout s’est passé très vite, plus de cent films, pièces de théâtre, opérettes, la télévision, quand je vous dis que je ne peux vraiment pas me plaindre de ma vie. J’ai été la partenaire d’ Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, Michel Serrault, Depardieu et tant d’autres, je vous le dis, que du bonheur!. J’ai eu quatre enfants, nous allions en vacances sur les plages de la mer du nord de l’autre coté de la frontière, comme beaucoup de Roubaisiens, car nous trouvions de belles plages.
La nourriture était abondante et on y dégustait des bonnes «Fancy fair» à la fraise, petit clin d’œil à Pin Pon en souvenir du tournage de l’Été meurtrier.

Jenny, tout le monde sait que vous avez un très grand cœur.

– Un cœur grand comme la Grand Place de Tourcoing. Toujours partante si on a besoin de vous mais vous n’en parlez jamais.

Si j’ai deux pulls dans mon armoire, il y en a un de trop, vous êtes d’accord ? alors autant le donner à quelqu’un qui n’en a pas.

Jenny, on est obligé de parler de Pierrot et de la télévision,

Pierrot c’est une histoire d’amour qui dure depuis 25 ans, en tout bien tout honneur.

Serge Carpentier et Patrick Villechaize cherchaient  pour leur émission  ‘‘Goûtez moi ça’’, une auguste  face à un Pierrot clown blanc.

Le chef aux fourneaux, la mamie qui veut apprendre et bien faire aux épluchures.

Je ne pensais pas que ça collerait entre nous deux. Ils ont rusé. Ils savaient que la bonne chère et moi, c’est plus qu’un péché de gourmandise, c’est un virus que j’ai entretenu tout au long de ma vie professionnelle.

Pendant les tournées ou les tournages, on mange toujours très bien vous savez ? En tout cas, ça n’a pas été difficile de me faire changer d’avis.

Pierrot était tel que lui même, homme des Flandres au grand cœur mais bourru.

il me sortait des petites phrases dans le genre:

– Jenny, t’es moche aujourd’hui, tu devrais aller chez le coiffeur.

– Toi, Pierrot, t’as encore grossi, mets toi au régime.

Il était mal tombé, j’ai de la répartie.

Mais quand il me disait devant un plat fumant:

– Goûtez moi ça, avec son accent inimitable, 

Que répondre à ça, sinon : « Et avec ça, Pierrot, qu’est-ce qu’on boit ?»

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