C’était les années Raoul

1966, Saint Sauveur n’existe plus, rayé de la carte, démoli, rasé, place aux immeubles de l’avenue Kennedy,
le temps est à la modernité, vive Le Corbusier.

Les Lillois qui aiment leur ville s’estiment toutefois heureux d’avoir échappé à une voie rapide qui aurait pulvérisé le Vieux Lille, joyau architectural et touristique de notre ville. Les bétonneurs, furieux, se vengèrent en pondant, avant de quitter les lieux, ce gros truc incongru et laid que l’on appelle le Palais de Justice.

On avait promis aux étudiants Lillois un campus à l’américaine, l’air pur, la campagne et les petits oiseaux. Ils trouvent à Villeneuve d’Ascq quelques bâtiments plantés dans la boue, au milieu de nulle part, avec un seul arrêt de bus. L’hiver fut glacial, le printemps pas mieux, le 27 mars un vent de 161 km/h souffle sur Lille. De Gaulle était venu à Lille inaugurer la foire commerciale, ça nous passait au-dessus, aussi haut qu’un supersonique. On essayait de mener nos études comme on le pouvait, entre deux zinzins agités. On mange des frites à La Presse en taquinant Gelinotte, célébrité Lilloise de soixante-dix ans, au moins, qui arpente le trottoir depuis l’âge de ses quinze ans. On va à l’U1 si on est courageux, suicidaire si on est un bizuth. Le soir, on chante, on boit des bières Chez Malou rue Le Pelletier, et l’on fête encore la Saint Nicolas pour emmerder les bourgeois.

En ce temps là,

il y avait souvent au bar de La Paix ou chez Ronse place du concert un grand costaud qui s’éclaircissait la voix, qu’il avait d’ailleurs bien mélodieuse, à grandes lampées de Walsheim. Ce géant, ce bel homme, qui se disait photographe et pas canteux, devint, bien malgré lui, la star number one de la jeunesse assoiffée de fêtes bruyantes et déjantées. Ouf, on pouvait enfin se rincer le cerveau des âneries de Sheila, niaiseries d’Adamo ou jérémiades de Johnny. Raoul était un meneur et ça nous plaisait bien de le suivre. On allait se laver les gambes au robinet de nos tantes. Les tramways c’était fini, on s’en foutait, on s’entassait à dix dans nos deux chevaux pour aller chez Dimitri à Menin, ou à la Bicoque, avant de finir chez nos copines de la rue de la Clef pour chanter une dernière chanson.

Chétot bieau, ces chants harmonieux, le soir au fond des bistrots.

…Eh, couic couic. Viens par ici que j’la remette dans s’guéole, je vas t’attraper. C’est pas parce que t’as perdu ton homme et son zozieau qui faut pleurer, r’garde Gégéne, y est toudis heureux, c’est un type épatant y te plait pas. Ou Edouard avec sa gros cigare.

Et ches cats, ces quiens tu crois qu’y s’génent, y font ça n’importe du, même dans l’rue, c’est pour dire qui sont heureux.

Alors, console-toi Charlotte, t’as des grosses machines, te devrais être contente, ça plaît à ches zommes. Sacré Raoul, on s’amusait bien et vive les Capenoules.

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